dimanche 17 février 2013
Sur la piste de Djerba
Sur la piste de Djerba
Encore une fois attiré par le magnétisme du nord, le nord immédiat, du golfe de la petite syrte, sans perspectives d’aller au-delà jusqu’à Lampedusa, j’ai enfourché mon « Carhba » tôt le matin accompagné par les prières de ma mère et les dizaines de hauts parleurs des mosquées sur mon parcours. Comme chaque fois, je descends sur une boutique à l’intérieur de Boughrara city, Gyktis pour les nostalgiques de l’histoire, pour acheter des petits pains chauds et spongieux, certainement l’œuvre d’une femme au cœur bon. Le soleil pointait lentement dans mon rétroviseur, quand j’avalais la route de Mareth, au niveau de la fameuse ligne militaire qui n’a pas résisté à la conquête de Boughmiga et se rendit illico sans conditions. Entre les Blockhaus, les Casemates, les Bunkers et les fortifications, j’ai longé l’oued sur un lit rocailleux et accidenté dans un paysage lunaire de cratères et d’excavations. Surpris, des hommes avec un tracteur acrobate pelletaient à la hâte du gravier d’un trou béant juste à côté de la piste. En écologiste chevronné, j’ai arrêté ma voiture pour palabrer, sensibiliser et m’informer de la sortie vers la mer. De toutes les façons l’oued avait drainé tous les cailloux de la chaine de montagnes de Matmata et à quelques camions pré, il fallait bien rapprocher entre écologie et développement.
En bas, vers la mer, juste devant la station d’assainissement, j’ai vadrouillé un bon moment entre les tranchés, les douilles d’obus et une bonne quantité de silex travaillé. Bang, bang, bang… stupides de tous les temps, baroudeurs, « Hachachin », manipulateurs, génocidaires…, vous l’avez eu dans l’égo…pendant que mon humble ancêtre Néanderthalensis, ne faisait pas autant de mal et de destruction massive. M’ayant vu en train de tourner en rond, comme un ivrogne à la recherche d’un mégot, le gardien de la station est venu s’informer gentiment de ma présence et je l’ai remercié de sa responsabilité et son professionnalisme.
En vérité, ce jour-là, je voulais parcourir la « piste de Djerba » dont l’un des bergers m’avait parlé. Celle qu’on prenait autrefois pour joindre Gabés. Imaginant le petit homme de l’Île aux Lotophages, dans son petit burnous blanc, avec son bâton et sa bandoulière en laine pleine de dattes et figues sèches, derrière son âne ou son chameau, foncer vers le nord dans un esprit irrésistible et infatigable de conquête commerciale et sociale. D’ailleurs c’est ce qu’il fit avec brio et succès en diversifiant ses ressources et ses activités de survie et d’opulence, faisant main basse sur le commerce en gros et en détail dans la majorité des villes d’Ifriqiya et même au-delà. Usant de sa sagesse millénaire, il avait plusieurs techniques de clientélisme et de création de richesses dans le cadre d’un commerce équitable inné et confirmé.
Au niveau de Chatt El Awamer, j’ai pris une fausse piste pour me trouver dans une impasse devant des maisons habités. Après une demande de renseignements, j’ai pris la bonne piste à travers les maisons, les vallons et les oliviers, pour sortir à côté du site de « Mdaynita » ensuite dans un long lac salé que j’avais traversé de plus en plus inquiet du paysage et des risques d’enlisement, de panne ou de désorientation. En effet, chaque fois que je suis venu dans ces endroits, il y avait des nuages et cette fois c’est un vent très fort qui dominait la scène avec des tourbillons de sable. Allant à droite dans chaque croisement pour m’approcher de la terre solide, et au fur et à mesure du parcours, la piste perdait de sa consistance et seules quelques traces anciennes de roues me guidaient. C’est en ce moment, que j’ai réalisé l’ampleur du risque de ne plus voir la route couverte par les vagues et cumuls de sable ventilé en permanence et rebroussa un bout de chemin pour foncer vers l’ouest, vers les collines salvatrices, dans une sorte de défaite piteuse devant le courage et la bravoure du petit Djerbien conquistador. Là aussi, les sillons des roues s’enfonçaient et le flan de ma coccinelle butait sur la terre argileuse et endurcie.
Le berger « Haj Dhaou », était bouche bée et ne croyait pas ses yeux en me voyant sortir de nulle part, dans ma voiture citadine, en ce temps désagréable et menaçant. En lui offrant un petit pain de Boughrara, qu’il cacha tout de suite pour la déguster à l’huile d’olive avec son brave compagne, je l’ai aidé à repousser son troupeau des petits plants d’oliviers et surtout un grand bélier qui insistait à en déguster les feuilles vertes. Malgré ses quatre-vingt ans, Haj Dhaou, tenait bien sur ses pieds et parvenait encore à garder et suivre son troupeau de moutons et chèvres dans ce relief rocailleux. Toutefois, pour compenser la réduction de ses mouvements à cause de sa vieillesse, il utilisait une fronde avec une aisance et une adresse incroyables, jouant sur le mouvement, la taille de la pierre et la trajectoire de la lancée, pour dissuader les chèvres et les rabattre. Informé de ma mésaventure avec la piste de Djerba, il confirma mes inquiétudes car il fallait connaitre cette route jusqu’au village de « Green » que je connais en y arrivant de l’autre côté sud. Il me dirigea aussi vers une colline qui m’intéresserait pour ma passion du silex, ou mon silex-mania.
Le vent sifflait de plus en plus fort et l’endroit était une sorte de grandes collines en forme de dos de cheval de quelques centaines de mètres, qu’une sorte de piste parcourait et divisait comme les traces osseuses d’une colonne vertébrale. Au sommet j’ai tourné la voiture dos au vent et fis bien attention d’engrener la vitesse et tirer le frein à main, pour ne pas se laisser trainer par le vent. Sur le toit de l’endroit et la région, avec le bruit des rafales de vent et le picotement du sable sur la taule, avec une vue ne dépassant pas les trente mètres, le moment était propice à une collation de pain et de fromage et une petite somme, dorloté par le balancement de la voiture et le sentiment du néant et du nulle part.
Réveillé par mes renflements, d’un sommeil paisible suite à une grande fatigue, j’ai descendu de la voiture, prit mon sac de toile et mon bâton, boutonna mon capuchon et dévala la colline de son côté sud, qui généralement abritait les hommes primitifs des vents s du nord. En effet, les traces n’étaient pas nombreuses, à part quelques traces de brulis, mais, dans un endroit précis, j’ai trouvé de belles pièces de silex blancs ronds et bien taillés. Un peu plus loin dans le lit d’un courant d’eau au bas de la colline, j’ai trouvé un broyon circulaire en forme de disque, très poli et agréable au touché et à la vue. Je me suis éloigné beaucoup de la voiture en aval, poussé par le vent et la passion de mes trouvailles et pour revenir il m’a fallu faire des bordages comme pour les bateaux naviguant contre le vent.
Tard dans la soirée, à la maison, après une bonne douche et un bon sommeil, j’ai résumé les plaisirs de la journée, mes souvenirs de la fusion avec la nature, la noblesse acquise de « Haj Dhaou », les risques majeurs que j’ai encouru en m’éloignant en solitaire de la voiture dans une montagne au risque me casser une jambe et finir asséché sur les rochers. Une pensée particulière était dédiée au Djerbien, qui prit ce sentier de l’aventure et conquit le monde par sa sagesse et son endurance.
Lihidheb mohsen Zarzis 10.02.2013
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