lundi 23 décembre 2013
Boughmiga à Rjim Maatoug
Pendant que l’oasis de Douz se réveillait lentement, caressé par les rayons du soleil levant et les palmes dansantes, Sonia, Ahmed et moi, étions déjà sur la route vers Rjim Maatoug, profitant d’une journée consacrée à l’excursion des participants aux DDD vers les troglo de Matmata, pour aller de l’autre coté sur les traces des caravanes et connaitre notre frontière saharienne. Ahmed en tunique bleue de Touareg avec un ample pantalon, une chemise brodée et un turban de derviche savant, connaissait Sonia depuis sa visite de l’année dernière et aurait travaillé ensemble sur des sujets culturels et sociaux. Ainsi, bloquant le volant sur l’ouest, en donnant du lest à la vitesse de ma voiture qui avalait la route interminable à travers les lacs salés et les dunes, nous avions eu la chance d’avoir un climat agréable pendant la matinée. Sur plusieurs dizaines de kilomètres, rien, nada, nichts, nothing, welou…pas d’âme qui vive, seuls quelques voitures de routards enturbannés en blanc, en bons Mrazig, nous croisaient en trombe. Quelques fois des contrebandiers de carburant provenant de l’Algérie proche, faisaient le guet par des éclaireurs de part et d’autre pour assurer les passassions de bidons en livraison d’une voiture à l’autre. A un moment, j’ai invité mes compagnons à sortir de la route pour aller vérifier un endroit qu’on m’avait signalé pour le silex, mais nous n’avions trouvé que les traces douloureuses des bulldozers des compagnies pétrolières, qui avaient pelé la surface de la terre sans vergogne et sans laisser aucune chance à la faune et la flore souffrantes de ces contrées.
Bien sur, cette randonnée était effective, ce n’était pas dans un film ou une fiction, mais du réel, palpable, assommant et une légère angoisse commençait à naitre, envahissante à travers le sentiment du vide, la solitude, l’absence totale de végétation et toute verticalité. Quand une enseigne indiqua Rjim Maatoug et un fil vert de palmiers pointa à l’horizon derrière les vagues de sable, la préoccupation du vide et du néant a été remplacé par celle aussi pesante des caprices des hommes, surtout quand cet endroit était réputé comme une sorte de bagne, lieu de déportation, un goulag, pour les néo-fellagas de la Tunisie des années soixante dix, des militants clandestins de « Perspectives » et « El Amel Ettounsi » y participèrent courageusement à la création de cette région, malgré l’oppression et la dureté du climat.
Il n y avait pas beaucoup de bâtiments, une ou deux boutiques, un café, des casernements militaires et de la garde nationale, des lots bien tracés de maisonnettes à coté de chaque grand carré de palmiers pour les ouvriers-propriétaires-volontaires… Ces carrés de verdure de quelques centaines d’hectares chacune, étaient étendues sur vingt trois kilomètres avec des séparations en espaces vides de trois à quatre kilomètres. J’étais curieux de connaitre l’état des lieux sur le plan de la propreté, surtout quand c’est une nouvelle cité, sans héritage comportemental influant, j’ai pu constater que l’endroit était relativement propre, si ce n’était la petite déchèterie à coté de la lagune sur la route. Curieux d’aller jusqu’au bout de ces bulles de vie et voir ce qu’aurait été le fameux bagne de certains de mes amis, quand nous nous sommes trouvés nez à nez devant un barrage sécuritaire, gardés par des militaires armées et entouré de barbelées. En faisant des manœuvres pour rebrousser chemin, la sentinelle me somma de m’arrêter et pendant que nos papiers, mon appareil photo se faisaient vérifier, ma voiture fut fouiller de fond en comble et je fus dégouter quand l’agent m’interpella par le bout du canon de sa machine de la mort pour vérifier le contenu d’un sac plein d’outils en fer. Malgré mon respect à nos soldats, ma solidarité et ma compréhension de ce qu’ils endurent, je suis toujours dégouté par les armes et la violence en général et c’était pour cela que je me suis éloigné de la voiture pendant cette fouille qui ne m’est jamais arrivée.
Au retour, vers Rjim Maatoug cité centre, nous fîmes une pause dans l’unique café, où tout le monde nous regardait avec curiosité surtout la belle Sonia, blanche, fraiche, belle, dynamique et qui peut valoir quelques millions de dollars chez nos voisins Touareg et Peuls du Hoggar. Toutefois, c’était agréable et quand j’ai donné un petit pourboire au serveur, il était très heureux. Tant mieux. Naturellement, en bon Boughmiga le néandertalien, qui se respecte, je n’étais pas accro à la consommation des dattes, ni branché sur les possibilités d’investissements ou la génération de profits quelconques….mais bien sur, mordu, malade, possédé, dépendant, passionné par ma préhistoire, et dare dare, sur tout le parcours de ce territoire et le fond du tiroir, je n’ai rien trouvé à mettre sous la dent, car toute la terre était couverte de sable. Ce n’était qu’à dix kilomètres en direction du retour, que j’ai arrêté la voiture net sous les regards interrogatifs des mes compagnons, quand j’ai remarqué aux abords de la route quelques étranges mottes de terre découvertes par le vent et un petit courant d’eau ayant servi pendant les années cinquante peut être. A l’assaut, avec Sonia et Ahmed, nous avons pu constater effectivement que l’endroit portait des traces préhistoriques de silex, bris d’œufs d’autruches et tessons de poterie primitive. J’étais aux anges par cette découverte en plein dans le but car quand on trouve des restes de passage humain sur le seul endroit découvert du sable, ça veut dire que toute la région est un grand site préhistorique à raison de cent pour cent. Bien sur les objets furent livrés à l’asso de Douz avec les détails et les données relatives.
Plus loin, j’ai pris une piste au hasard, mais l’ensablement progressif de la route m’avait dissuadé et du revenir pour prendre une autre à gauche qui était plus sur le dur, une sorte de gypse granulé. Arrivé à une colline nous nous sommes dispersés pour prospecter le terrain, mais il n y avait rien et seul un monticule de sable en bas, avait attiré notre attention. C’était un petit forage, de trois mètres de profondeur avec assez d’eau pour créer un nouvel oasis et nous avons pensé que c’était pour cet effet, la vie dans le désert inhospitalier. Dans le monticule de sable, mordu de la terre par un tracteur à pelle, Ahmed et moi, avions recueillis de belles roses de sables en souvenir. Lors d’une troisième sortie hors de la route principale, dans une sorte de vallon entre des collines, nous avons rencontré un troupeau de chameaux, qui nous avaient accompagnés dans nos trois quart d’heure de marche agréable et éco amicale. Le vent commençait à former des tourbillons au dessus des dunes autour des lacs salés et juste avant El Faouar, nous sommes descendus de voiture pour aller vers une haie artificielle de palmes à quelques centaines de mètres de la route, pour admirer les trombes de sable pompées par le vent à volonté, dans un paysage de son, de sensation et de mouvement. Il fallait crier pour s’entendre et nous primes quelques photos de cette manifestation de la nature, qui ignore certainement l’existence des hommes aussi bien intentionnés soient ils.
Deux semaines plus tard, je suis tombé en panne de roue sur la plage d’Ejdaria à Zarzis, et personne n’avait réussi à faire sortir la roue de secours de ma voiture, mon crique était rouillé, mes clés aussi, et tout était défectueux, mais pendant que tout le monde s’inquiétait et s’affairait, je rigolais, je rigolais, devant la chance inouïe, que cette panne ne m’est pas arrivé à Rjim Maatoug, surtout quand j’avais Sonia et Ahmed avec moi. Dieu merci, Hamdoulillah.
Lihidheb Mohsen Eco artiste 15.11.2013
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