vendredi 5 décembre 2014
El Ketf, la langue silencieuse.
C’était l’isthme sud contournant le lac d’El Bibane, une langue de terre longue de vingt cinq kilomètres et large de sept cents mètres en moyenne, que j’ai visité cette fois, pour la cinquième fois sur vingt années de passion avec la mer et la nature. Bien sur, chaque sortie était différente, à cause de ma propre évolution dans le constat et la valorisation des milieux naturels et historiques. C’est une dorsale linéaire, rocailleuse, à très faible végétation, ne comportant que quelques cabanes de pêcheurs et de bergers de plus en plus rares à cause de la sécheresse et le manque d’eau et de végétation, qui reste encore, de part sa situation géographique en poche isolée, sa propriété tribale collective et sa proximité de la frontière Libyenne, une zone sauvage, sauvegardée par l’absence d’activités humaines. A part les arbustes semi désertiques, il n y a presque plus d’herbes à cause du surpâturage dans ce milieu naturellement pauvre et il en va progressivement de même dans le lac et dans la mer, à cause de la surpêche et le piratage destructeur des chalutiers contrevenants.
Après avoir parcouru une soixantaine de kilomètres, j’y suis parvenu avec le levé du soleil, pour découvrir pour la première fois, juste devant le port de pêche du même nom, un vestige romain à la portée des vagues de la haute marée, comportant une bassine à un mètre de hauteur pour le séchage du poisson et plusieurs traces de constructions tout autour, sur la terre pleine. Visiblement, c’était une station de salaison Punico-Romaine, à deux kilomètres à vol d’oiseau du site amphibie de Zoukhis, El Mdeyna à la pointe sud de Lac El Bibane. Principalement, ma sortie cette fois, avait plutôt, une tendance humanitaire, de constat et de compassion, surtout après l’accident tragique survenu à plusieurs émigrés clandestins, en majorité des Syriens, échoués au large d’El Ketf, et rejetés par la mer sur les plages de cet isthme… Je n’ai pas trouvé grands choses, à part quelques chaussures et un document personnel appartenant à l’un des naufragés, qui m’a laissé perplexe devant l’attitude à entreprendre. Informer ou ne point informer les relatifs des victimes, de leur infortune, est une équation difficile et un déchirement entre le comportement légal, moral et éthique…qui reste à trancher. Toutefois, j’ai toujours le réconfort du faux sentiment du devoir accompli, à travers mes protestations médiatiques et artistiques que je vulgarise ça et là, ainsi que mes participations aux manifestations de sensibilisation aux dangers de la « Harga », dans les écoles, les séminaires et les associations humanitaires quand l’occasion m’en est donnée.
J’ai fait presque la moitié du bras de terre, en négligeant les cotes rocailleuse que je ne peux plus aborder à cause des risques d’accidents, surtout que cette fois, juste au début, en sautant d’un rocher à un autre, j’ai failli tomber dans une crevasse de trois mètres, quand j’ai retenu le bout de mon pantalon de mon pied qui devait sauter…sous l’autre pied tremplin et ce n’était que grâce à la déchirure du tissu du pantalon que mon saut à été libéré et effectué. Ouf, c’était juste, car une chute la tête première dans un lieu aussi isolé et inhospitalier, aurait été fatale. La cote est constituée d’une vingtaine de petites baies ensablées, dont certaines sont utilisées pour abriter les petites barques des pêcheurs pauvres. J’ai continué donc sans démesure et avec mon sac de toile, il y avait aussi une bouteille d’eau et un bâton de berger, surtout quand je faisais en retour vers la voiture, la prospection du sol mitoyen et les risques des vipères et des chiens sauvages étaient réels. La nature historique de la région est complète, allant du paléolithique jusqu’au Romain, avec une absence manifeste du néolithique. A même la plage, les vagues avaient aussi découvert les dunes, pour montrer les restes de constructions et installations utilitaires anciennes, dont l’un, avait été aveuglé bêtement par le dépôt de déchets urbains, de poterie moderne et de bris de verres….on ne pouvait pas faire mieux pour défigurer une station historique.
La journée était relativement froide et le ciel couvert de nuages, ce qui ne facilitait pas mes recherches de silex par l’absence de la réflexion de la lumière sur les lames lisses. Entre temps, j’ai entrevu un troupeau de moutons, sans berger, en train de se diriger vers le sud, en broutant les rares bougeons des buissons. Un âne dont les pieds étaient liés par des cordes afin de limiter ses déplacements, m’avait surpris par ses braiements, dressant ses longues oreilles devant cet intrus, qui ne cadre pas avec le mouvement habituel des humains dans cet endroit.
J’ai déjeuné en marchant, mâchant du pain et du fromage, mais vers une heure et de demi de l’après midi, j’ai senti le besoin d’une petite sieste, qui prit une bonne heure, dans la voiture, les pieds sur le tableau de bord, sous les bruits du vent et des vagues et ne fut réveiller que par mes renflements de quiétude et d’acceptation. C’était le début de décembre et je portais encore des manches courtes, car la pluie et le froid, se font encore attendre avec des après midi trop courts rapprochant rapidement le soleil vers la colline. Soudain j’ai entendu des cris à très haute voix « Hay hay hay…Yahoh Yahoh Yahoh…Héhéhéhéhéhéhé…Youyouyouyouyou…Lalalalalalalalalalay…Drrrrrrrrrrrrrrr…. », et vu sur la colline, un homme sur une ânesse suivi par son petit trottinant à quelques mètres en arrière… Le berger, tout en criant, gesticulait avec un long bâton dans la main pendant qu’il tenait la bride de l’animal de l’autre. Il était à trois cents mètres de moi au moins et criait très fort sans discontinuer et je compris qu’il pressait le troupeau, qui avait fait trois heures de broutage vers le sud, de reprendre la direction du nord et revenir à l’étable et il lui suffisait de les diriger pour que les bêtes continuent toutes seules le reste du parcours.
Plus loin, vers le nord, où je me suis déplacé avec la voiture pour longer la cote toujours parallèle à la colline, le berger m’avait encore rattrapé, sur sa monture et son petit, à zigzaguer sur le sommet en silhouettes pittoresques qui quelques fois se réduisaient derrière la dorsale… Pendant un bon moment, j’ai observé ce spectacle grandiose, où, l’homme, la bête, la nature et sa morphologie, font et refont les mouvements de la vie…et peut être de leur coté, comme je les ai vu, ils m’auraient aussi considéré d’un autre angle, le leur, en intrus, forcément moins glorieux et encore moins intégré dans cet environnement naturel.
Le soleil déclinait rapidement et la fatigue me prenait aussi, car une journée entière de marche passionnée pour un homme de soixante ans, est une épreuve et une grande satisfaction. Pour rentrer j’ai eu l’idée de couper par un raccourci, du coté du site d’El Mdayna, et entrevu de loin une voiture qui montait à travers la colline et accéléré pour la rattraper. Il faut bien avoir un repère car il m’est déjà arrivé un ensablement dans cette région et il a fallut que mes collègues de travail de Bengardane organisent une expédition à ma rescousse. La route de l’autre coté de la colline était très ensablée mais la descente facilitait le passage sans problèmes. La voiture légère avait disparu dans la nature, mais juste avant le lac salé entourant El Mdayna, j’ai dépassé un camion frigo à l’arrêt et me suis arrêté pour attendre un accompagnement ou un renseignement au moins. Il n y avait personne autours de la voiture et quand j’ai considéré le passage seul, j’ai vu que l’eau submergeait la lagune et hésita à plusieurs reprises à longer la colline de son intérieur. Assez loin, j’ai vu la hutte d’un berger et quelques branchage et entre celle-ci et la voiture, j’ai vu une ombre qui se déplaçait voir la voiture frigo en arrêt. C’était un vieux, au visage tanné par le soleil et la dureté de la vie, qui me confirma l’absence de route sèche et m’invita de le suivre à travers l’immense surface d’eau…ce que j’ai décliné sagement. Admiratif, reconnaissant et légèrement anxieux, devant la bravoure de cet homme et ses semblables, qui se battent au jour le jour contre la nature et les conjonctures pour survivre, en contournant les lois, les eaux et obstacles, je dus revenir pour escalader la route ensablé de la colline en mettant à fond la musique de la voiture et redécouvrir enfin la mer, immense, indifférente, sournoise…
Juste au point de mon arrivée le matin sur El Ketf, prés du Port, j’ai entrevu un berger que j’ai interpellé croyant que c’était Amor, celui que je connaissais il ya quelques années. Après les salutations usuelles, il m’informa de l’infortune de mon ami, qui suite à une morsure de vipère, est resté quelques mois au lit entre la vie et la mort, et de ce fait changea de pâturage dans un endroit plus clément et moins sauvage.
Vipère… !!! Et moi qui trainait aveuglement entre les buissons, insouciant et confiant… mais je sais que la Baraka des « Ness Mlehh » est avec moi et les bêtes respectent Boughmiga le « Fakir » en Dieu, et il le leur rend bien, sage, sincère et respectueux.
Lihidheb Mohsen Eco artiste
Zarzis 03.12.2014
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