dimanche 11 décembre 2016

Ulyssus, à Zarzita.

Une journée d'autre fois. A la façon de J.Joyce, on décrira la vie d’un endroit, pendant un jour tout en regardant tout autours et dans toutes les directions du parcours…d’autrefois. Les vieux revenaient de la mosquée, dans leurs wazra, rentrant hâtivement pour prendre encore chaud, l’Aych à l’huile d’olive avec un zeste de fenouil grec en poudre. Ils trouveront aussi du feu pour se réchauffer les mains du froid matinal et le verre de thé noir, concentré comme du sirop, pour agrémenter la bonne purée de farine d’orge. Des femmes le feront de bon gré, pour se livrer tout de suit après au balayage de la maison jusqu’à la route et redéposer les déchets totalement organiques dans les champs. On entendait partout le bruit du régime sec de datte, en train de gratter la terre, au rythme des pieds déambulant et marchant des femmes en fouta, repoussant les brindilles et effaçant les traces de la nuit. Dans l’autre sens, des enfants, encore mal réveillés, se tenaient par les mains, les grands guidant les petits, vers la cantine scolaire, qui avant même l’ouverture de l’école, distribuait depuis l’aube, du lait en poudre, dans des petits pots chaux et écumeux. C’était d’ailleurs le seul petit déjeuner de centaines d’enfants, des pauvres paysans du village, dont peut être deux ou trois avaient la possibilité de prendre de la Bsissa, sorte de poudre de blé avec l’huile d’olive, que seuls le riches pouvaient s’offrir. Les grains, l’huile et l’eau, étaient les plus grands produits stratégiques, que plusieurs familles de damnées avaient troqués contre des terrains et des champs dans la compagne, ce qui avait favorié une petite classe de féodaux et de proprio fonciers. Sur la route encore ensablée, sinuant entre les hautes haies de cactus et d’agaves, traversés ça et là par les petits oueds déversant de la colline, un homme huait sa charrette remplie de sable marin, très demandé pour la construction et très tôt chaque matin, il faisait la navette pour faire plus de voyages et déjouer la surveillance intermittente du seul garde de la région. Il n’en devint que très riche avec le temps et considérer en tant qu’une grosse légume de la société. L’épicier du village, ouvrait sa ghorfa, tout en rentrant les quelques pains rond que le boulanger avait déposé à l’aube devant la porte en faisant sa desserte. Plusieurs enfants raffolaient du huitième de pain et trois francs de harissa, que l’épicier peignait de colorant rouge raclé du fond des boites de ce piment rouge en conserve. Simultanément, deux enfants passaient avec sous les bras l’un le gros cartable noir de l’instit et l’autre les cahiers des élèves, pendant que le maitre d’école déambulait devant eux dans son auréole de cheikh du savoir. Un charretier tressautait sur sa voiture avec une charrue au milieu juste derrière lui pour labourer un champ à la compagne, alors qu’un autre avec deux aides allait transporter des brindilles des arbres de l’oliveraie vers les maisons pour profiter des feuilles sèches en tant que fourrage et des branches pour la combustion ou en faire des murs tressés une sorte d’enclos autour des huttes et maisons. Un homme d’âge mur, au pantalon retroussé, noué au milieu par une corde tressée sur place avec le tissu organique des palmes pilé, longeait le ruisseau desservant l’eau du puits artésien, pour colmater les quelques fuites possible ou réclamer au maitre de l’irrigation le débit octroyé. Tout le village du coté est de la route, était desservi par des puits sur la longueur de la colline de douze kilomètres parallèle à la mer pour une culture de sorgho réussi. Ce n’était pas un travail pour lui et il ne faisait qu’aider ou se racheter, comme plusieurs, auprès du Rais de la pêche aux éponges pour que ce dernier le favorise et le recrute lord de départ à la compagne vers les mers. D’ailleurs plusieurs candidats se présentaient à chaque fois devant le petit bateau et le Rais, choisissait ceux qui l’avaient mieux servi gratuitement dans ses affaires sur terre. Avec des cartables en bandoulière, cousus de tissu blanc récupéré et portant le dessin d’une poignée de main, offert par l’amitié entre les peuples et destiné initialement aux sacs de farine, des enfants allaient à l’école et se chamaillaient sur des échanges entre eux, une crayon noire contre des figues sèches, une gomme contre quatre sauterelles grillées, quelques pierres de craie de la colline voisine contre un demi repas de la cantine. Sur la route, une citerne à cheval distribue du pétrole pour les boutiques très utile pour les lampes à pétrole ou les rares Primus à pomper pour la lumière pendant les grands événements de mariages ou pour faire la cuisine. Une charrette assez rapide, allait vers le sud, à l’occasion du jour de marché en ville et plusieurs personnes s’asseyaient sur le bord en balançant frénétiquement leurs jambes comme s’ils marchaient avec l’animal pendant que des femmes généralement des veuves occupaient le milieu avec des poules, des fils de laine ou des produits de l’oasis à vendre dans le souk. Dans l’autre sens, une voiture au cheval blanc, transportait deux futs en bois, plein d’eau et le maitre sifflait énergiquement pour informer tout le village de son passage. Des femmes arrivaient nombreuses à chaque point d’arrêt pour acheter cette eau comestible et ô combien utile pour la cuisine et la consommation. Pour le déjeuner, quelques uns mangeaient dans la cantine scolaire, des haricots, des pois chiches, avec un semblant de viande, mais un gout très apprécié, pendant que les autres mangeaient chaque jour de l’Aych, préparé par les femmes sur le feu de bois et des palmes sèches. Il n y avait rien d’autre à manger et la farine, qui était le salaire des hommes travaillant dans les chantiers des chômeurs contre deux cents cinquante millimes et trois livres de « Cahmalout » farine camelote. Il était très rare de manger l’Aych avec de l’huile d’olive, denrée rare et chère et juste une petite soupe faite à partir d’une corne de piment vert faisait l’affaire. Juste après, les gens pauvres se rendaient visites et ils étaient certains que malgré tout ils trouveraient quelque chose à manger dans les assiettes en poterie. Au début de l’après midi, des marins arrivaient au village avec des grandes rames sur les épaules transportant des éponges en série de trois qu’ils étendaient en ligne sur le sol pendant que des armateurs, des cheikhs, des nouveaux riches, des intermédiaires, les tâtaient du bout de leurs bâtons et proposaient des prix ridicules au début et s’accordaient toujours pour étouffer les prix au détriment des marins. Cette enchère était une occasion sociale qui servait aussi à évaluer les gens et leurs richesses, mais les pêcheurs fatigués par le travail dés l’aube, se laissaient faire devant ce lobby forçant la main et maitrisant les prix. De l’autre coté, plusieurs personnes entouraient le facteur, porteur de sacoche qui faisait quotidiennement le tour de la ville à travers les routes ensablées et les intempéries. Il était le seul contact avec le reste du monde, avec la presse, l’administration et les journaux dataient toujours de quelques jours pendant que les correspondances n’arrivaient que des émigrés à Tunis, dans les café, les restaurants et les hôtels, qui demandaient des informations ou invitaient des parents à venir travailler dans la capitale. Le facteur lisait à haute fois, les noms des lettres et récitaient les noms des réussis à la scolarité de la sixième dans son journal magique. Avant le soir, des enfants s’approvisionnaient des boutiques en dix centilitres de pétrole pour les lampes et cinquante grammes de tomates en conserve dans un papier de sucre pour le couscous du diner. Le soir, les gens écoutaient en groupe les discours de Nasser ou les chansons d’Om Koulthoum de la radio de la boutique El Bacha, un poste de radio qui avait aussi servi à la voiture de la radio diffusion qui faisait sa tournée d’information avec haut parleur annonçant une soirée cinématographique sur le mur de Hanout Mzalouat. On suivait aussi tristement les informations du bbc et autres au sujet de l’évacuation de Bizerte et de la guerre de l’Algérie. Il n y avait presque pas de voiture, car un engin passait une fois par semaine, qu’on entendait de très loin et descendait de la colline en courant pour l’applaudir pendant son passage. On se rappelle encore des voitures traction du philanthrope Amor Dhouib et du leader politique Si Mokhtar Ouriemmi. Un peu tard, dans le village, il faisait complètement noir, sans lumières, avec un silence complet, brisé chaque jeudi soir, par les cloches de la charrette revenant de chez le saint homme qui guérissait plusieurs personnes par des danses et des transes religieuses. Tout le monde se levait alors pour céder le passage à ses gens fatiguées et possédés par les rythmes de la Hadhra. Lihidheb Mohsen 11.12.16

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire