mardi 13 décembre 2016
Ulyssus, à Zarzita.2
Le visage profond de Zarzis.
Comme dans un film comique, la charrette tressautait sur la route rocailleuse de Ksar Zaouia et le cheval haletait de sa charge d’une quinzaine de personnes dont ceux qui sur le bord balançaient leurs pieds comme s’ils marchaient avec l’animal ou forçaient le mouvement du temps et hâter l’allure. Il fallait faire un peu attention aux pierres des enfants de chaque petite agglomération sur la route qui affirmaient leur présence par le droit sur la place. Il n’en était pas grand-chose quand on passait en groupe, mais en individuel, si on avait dit bonjour aux assis sur la route on attirait l’attention et si on ignorait et passait, ils l’avaient toujours pris pour une provocation. De toutes les façons ce n’était pas très méchants et ça se comprenait car chacun faisait de même devant chez lui. Ainsi il fallait traverser la route et pacifier avec les gaillards de houmt Dhwawi, houmt Maatig, houmt El Beyed, houmt Dharb el Beb, Houmt la fléche, houmt Sardouk qui était la plus réputée par ses exploits et ses histoires…pour parvenir à la ville. On était plutôt curieux de voir des jeunes juifs avec leurs montres, leurs peaux blanches et leur démarche bourgeoise et lutter contre l’envie d’en avoir une et voir comment ça fonctionnait. Entre la marge assez importante entre les classes et l’animosité culturelle inter ethnique contre les juifs, ce n’était pas les personnes qui auraient été visé mais l’aisance et les éléments du bien être qui prévalait. Tout en s’approchant de la ville, l’odeur appétissante de la kefta, du brik, des casses croutes et des ojja, emplissaient l’air et l’effet provocant était très fort pour des enfants de paysans pauvres. Un grand monsieur, El Zou, un ancien forçat déporté parait il et purgeant sa peine, tenait le local plein de clients attirés par les odeurs des arômes naturels et des grillades. Une petite brouette transportait des plateaux de gâteaux de semoule succulents dont la famille Zouawi seulement en détenait le secret de fabrication. Parvenu au fondouk Kardou, une sorte de petite auberge paysanne portant le nom d’un maltais parait il, la charrette s’arrêtait dans la cour fermée et ses occupant en descendaient en fixant un rendez vous approximatif d’une heure au même endroit. La station n’était pas très grande, quelques ghorfa à étage, un cordonnier en plein air, un scribe dans un petit local à la porte pour surveiller les entrées et sorties, faire le secrétaire au cheikh et écrire des lettres officielles ou privées aux analphabètes qui étaient la majorité des gens. Les notaires, aux signatures scarabesques, véritable caste sociale influente et sélective, occupaient d’autres endroits prés du tribunal ou sur sa route. Les produits les plus prisés et véhiculés dans les transactions étaient les grains et l’huile d’olives que l’on effectuait sur une grande Rahba, espace immense pour recueillir l’eau de pluie à la citerne juste derrière le fort à pont levis Husseinite. Avec le temps, ce monument défensif de plusieurs canons, était devenu malheureusement symbole de l’occupation et dans l’esprit des gens, une liste des morts pour la France, avait aidé à condamner à mort cet édifice et le détruire, pendant qu’il était plus ingénieux de d’enlever la liste en question. Avec cet argument discutable, il y avait aussi des soi disant insectes et reptiles qui proliféraient dans le Bordj et les cinq Ksars et qu’il fallait les détruire et en finir une fois pour toute avec l’occupation et ses souvenirs. Pour la gouverne et la mémoire, il ne faut pas oublier que les puits artésiens de Hmadi Guebli et ce qu’ils donnaient comme cultures de carottes, sorgho, luzerne, palmeraies…avaient été cimentés suite aux réclamations réitérés des gens à cause de la nuisance des moustiques…encore une affaire d’insectes, stupide. Pas loin de la poste, véritable tête de pont colonial, heureusement affranchie, il y avait le souk Edhlam, une longue ruelle couverture par les branchages des arbres touffus de droite et gauche au point de constituer une sorte de toiture naturelle et compacte. Un plafond qui était le refuge de certains nigauds et aussi un immense lit pour dormir sur la végétation moelleuse en été à la belle étoile. Pour faire le tout de la ville, on ne pouvait éviter les ghorfa de ksar Chelba et la série de petites boutiques, que le poète Khir El Merimi avait bien mentionné dans sa belle description de sa femme noire en train de se disputer des tissus avec des femmes de fellah et pêcheurs qu’une commerçante juive proposait. Il faut reconnaitre qu’avec l’aide de plusieurs femmes, généralement des veuves ou divorcées, les juives Sbirsa pour le tissu, Rbegua pour l’orfèvrerie…tiraient les ficelles de la mode des foutas, habits traditionnels des femmes locales, du genre de tissus, des couleurs, des dimensions, des appellations en fonction des circonstances comme Asbaa Ezzaim «la doigtée du leader », Afkhadh El Gaddafi « les cuisses de Kadhafi », Gassaat Fakroun « carapace de tortue », El Yousfi, Kerkedda…. De l’autre coté, parallèle, juste à coté du collège moyen d’autrefois, avec ses machines d’ajustage et ses limes d’initiation, un endroit de prédilection pour les inondations et les visites de Bourguiba, il y avait un plus d’animation et la gare routière si on pourrait l’appeler ainsi, animait la place. Chaque samedi après midi, des juifs faisaient de la marche, en petits groupes sous les regards indifférents des gens. Malgré tout, une image resta gravée dans la mémoire, quand un grand aveugle avec sa kipa, était convoyé par deux autres le tenant par les bras et lui, comme on faisait des salutations en fin de prière aux gens à droite et à gauche, il tournait la tête à chaque pas comme s’il saluait tout le monde. Une image qui a été vue plusieurs fois, d’une bonté extrême et d’une fraternité humaine incontestable. Qu’il soit sur que ce sentiment était réciproque, malgré les incidents de parcours. Dans cette période, la croyance était parfaite et la religion complètement intégrée dans le quotidien des gens, au point qu’ils faisaient leurs prières à même les champs, sur le bateau, à la maison…avec une détermination tacite et catégorique à faire du bien sans conditions. Personne ne parlait de la foi, mais tout le monde la pratiquait dans touts leurs rapports avec la vie. Et Zarzita, resta, fidèle à ses valeurs, dans toutes les épreuves de la vie et certainement, il en serait ainsi, pour toujours.
Lihidheb Mohsen 13.12.16
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