mardi 29 novembre 2016

De chaque coté du mur.

Frau Lisa est une octogénaire allemande, retraitée et cliente fidèle de cet hôtel de l’oasis de Souihel où elle passe quelques mois depuis plusieurs années. Elle choisit les mois d’hivers pour ses vacances afin d’échapper au froid du nord et rentre à son pays en été pour fuir la canicule de l’été à Zarzis. Elle parle quand même quelques mots en arabe, a plusieurs amis, le serviteur, le valet, le gardien et le vendeur de bricoles. Chaque fois qu’elle revient, elle apporte des vêtements aux enfants du village et des cadeaux aux amis. Lisa ne mange pas beaucoup, aime pourtant la cuisine tunisienne et passe la majorité de son temps à se reposer au soleil ou discuter avec les clients habituels. Il faut dire, qu’elle est assez libre et ne dépend de personne. Quelques relations pendant les fêtes de noël avec le reste de sa famille ou quelques coups de téléphones formalistes avec des connaissances. D’une famille catholique, elle n’est pas pratiquante dirait-on, mais respecte toutes les religions et les différences sans distinction. Avec une assurance pour les maladies et tout ce qu’elle pourrait encourir pendant ses vacances, une vie agréable, une retraite très suffisante, elle mène du bon temps et se réalise pleinement. D’ailleurs, elle dépense beaucoup moins pendant son séjour ici, que les frais de chaque jour chez elle. Une belle vie de quiétude qui est aussi particulière, car la solitude, le manque de communication humaine et l’absence de soutien familial, donnaient à ses jours, une routine sans gout, ni passion. Entre le bungalow, le restaurant, la plage et les chats castrés du jardin de l’hôtel, rien ne l’intéressait à part la visite hebdomadaire au souk, juste à coté, sur la route, plein de couleurs, de cries, de mouvements… Comme le système de l’hôtel est de l’all inclusif, tout gratuit, tout compris dans le cout du séjour, elle n’avait pas à acheter à part sa nouvelle passion comme plusieurs revenants, à fouiller dans les vêtements usagers, les fripes, un rayon du souk à ciel ouvert, grouillant de femmes aux habits traditionnels et multicolores. Malheureusement, dans sa mémoire, la vie n’était pas gaie et n’avait pas beaucoup à raconter s’il le faut, à part les guerres et les exploitations outrancières. Lisa, avait une carrière, fixe et finie, encadrée par le must consumériste et les diverses nécessités superficielles. Elle est foncièrement bonne, n’avait pas choisi ses origines ni son destin et fait ou subit ce qui se devait. Dans une acception totale des normes sociales occidentales, son corps serait certainement rapatrié chez elle, pour être incinéré et disperser dans la forêt noire. De l’autre coté du mur, dans le même oasis, Amma Yezza, donnait des grains aux poules, des herbes sèches aux moutons et du foin à l’âne. Aussi vieille, elle s’était levé très tôt, pour faire ses ablutions, ses prières du matin et réveiller ses grands enfants pour aller au travail. Chaque matin, pendant que l’une de ses belles filles préparait de l’Aych, une sorte de purée de farine cuite avec de l’huile d’olive, elle allumait le feu pour la cérémonie du thé et tout l’attirail qui va avec, Charba, Bsissa, Zoumita, bouteille d’huile, couffin de charbon fait maison, kanoun, thé, sucre, eau…une sorte de all écologique biologique et local. Voyant ses enfants partir, elle n’avait plus que se rendre auprès des malades ou des familles ayant un événement quelconque. Quelques fois, elle se limitait à attendre que les poules pondent des œufs ou nettoyait la place jusqu’à la route. Il n y avait pas de déchets, à vrai dire et même les feuilles sèches qu’elle balayait revenait à enrichir le petit champ de palmier en tant d’humus organique. Elle était très droite, croit en Dieu, ses prophètes et l’au-delà et sait que pendant son enterrement tout le village l’accompagnera vers la dernière demeure et les femmes la pleureront chaudement à la maison. Pour ses petits enfants, elle était une boule gigantesque de bonté, de bonheur et un refuge confortable. Avec son amour incontestable et inconditionnel, ses contes féériques, ses petits cadeaux en fruits secs, en bonbons et mets traditionnels, sa médication ancestrale avec des herbes, avec ses brulures au feu sur le ventre, ses brulures à froid à travers des feuilles de cactus, ses huiles de massage total du corps, ses landaus savants, ses balançoires avec des carapaces de tortues pour faire dormir les petits… Un vrai trésor ambulant, laissant partout où il passait de la joie et de la confiance. Le soir, Amma Yezza, n’avait ni télé ni radio et entouré par des filles et des enfants, racontaient les histoires de Jezia El Hilalia, du fils du sultan, de l’ogre des montagnes et les sept filles qu’il mangera de toutes les façons…pendant que son auditoire, rêvait, imaginait, voltigeait…à travers le temps et les événements. Voila deux comparaisons de deux bonnes femmes des deux cotés d’un mur, dans le même oasis, dans le même moment du parcours de l’humanité, très éloignées l’une de l’autre, subissant le conjoncturel et le rythme des conceptions, bonnes ou mauvaises. Un ghetto avec all inclusif, en face d’un paradis avec all écologique. Lihidheb Mohsen 30.11.16

1 commentaire:

  1. Bechir Rebai
    توصيف جميل و صادق ﻻمراءتين مختلفتين في الدين و الحضارة اﻻنسانية لكن يجمعهن حب الحياة و حب الناس.شكرا اخ محسن ﻻنك تتحفنا في توصيفاتك الجميل لواقع مدينة جميلة من جنوب تونس وهي مدينة جرزيس الضاربة في عمق التاريخ

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