Ils étaient plusieurs arbres, autrefois, une bonne vingtaine, dont ceux qu’il fallait greffer, d’autres autonomes, ceux aux fruits au goût piquant, d’autres aux figues rayées, avec de différents couleurs, noir ou blanc et une marge modeste de tailles. Sauf à la fin de l’automne et l’hiver, il y avait toujours des chances de trouver des fruits entre les grandes feuilles vertes, « Herguel, Hatef, Gharbouz… » soit, prématurées et secs sur les branches. Chaque matin en rentrant de la mer et chaque après-midi après la sieste, j’en faisais le tour, une à une à avaler les fruits murs. Pour le savoir, il fallait toucher le « karmouss » et vérifier si son corps n’est plus dur et son épluchure moelleuse. « Les mûres dans l’estomac et les encore dures dans le couffin » disaient nos parents pour dénoncer amicalement les excès des cueilleurs. Vous n’allez pas dire pourquoi le fruit n’était pas lavé, car ça n’a jamais existé sachant que la poussière, les insectes, les traces de coup de bec d’oiseau et le passage d’un bourdon vorace, étaient dans l’organique complet de la gastronomie traditionnelle. Il arrivait que le soir, les enfants jetaient des pierres aux palmiers des voisins pour frapper les régimes de dates et en cueillir quelques-unes parterre, et avant d’attendre le retour des projectiles du ciel, ils se ruaient précipitamment, en avalant quelques fois aussi des scarabées noirs sans y faire attention. Maintenant, si vous voulez reconnaitre cette génération de voleurs cueilleurs nocturnes, il suffirait de leur faire découvrir leurs têtes, pour voir les traces blanches des blessures de pierres reçues sur la testa revenant du palmier avec les fruits. D’ailleurs, les enfants ne faisaient pas grand cas de ces blessures et seules les grandes mères, qui quand elles cherchaient des poux et de petits parasites dans les cheveux de leurs petits fils, qu’elles découvraient les trous ensanglantes. Les palmiers étaient nombreux et les paysans ne faisaient pas très attention aux intrusions des enfants, mais, pour les figuiers, ils étaient gardés jalousement et les propriétaires nettoyaient le sable autour des arbres afin de prévenir les traces de pas des intrus, tout en les entourant d’un grand cercle d’épines infranchissables. Ils y avaient même des gens spécialistes dans l’identification des traces de pas et pouvaient reconnaitre facilement les agresseurs. Il faut dire que c’était un produit stratégique, surtout quand il est séché au soleil sur un grand tas de plantes épineuses pour éloigner les chiens et les insectes, ou bien sur les toits des cabanes ou les maisons s’il y en avait. Les figues, les dates, la poudre d’orge, les poissons secs, l’eau de citerne et l’huile d’olive, étaient les principaux produits stratégiques et vitaux pour les paysans d’alors. Il y avait bien des années difficiles de manque de pluies et c’étaient les féodaux et les détenteurs de ces produits, qui dominaient le paysage et s’enrichissaient en échangeant un sac de grains contre une parcelle de terre et d’oliviers.
Que
d’histoires avec ces quelques figuiers qui m’avaient nourri presque tout au
long de l’année. En plus des fruits, on utilisait les feuilles pour la
nourriture des moutons et imbibait une petite touffe de laine avec de la sève
blanche des troncs qu’on mettait dans le lait pour le cailler. En plus de leur
espèce, chaque arbre avait son nom de famille, à qui mon père, l’avait offerte
pour la saison gratuitement. Il se fait que les gens qui venaient de Tataouine,
pour s’approvisionner en dates sèches et passer l’été avec leurs moutons dans
la fraicheur de l’oasis maritime, avaient droit chaque année à deux grands
figuiers pour leur nourriture journalière. Je me rappelle encore, comment une
famille pauvre de mes voisins, allait chaque été à la compagne pour vivre de
leur demi-douzaine de figuiers seulement. Avec ce petit nombre d’arbres, mon
père était aussi généreux avec les familles des instituteurs qui restaient à
passer les vacances d’été dans notre village.
Maintenant, un demi-siècle après, à force de désertification, les arbres
ont disparus avec le temps, seule deux plants encore verts, résistent à la
finitude. Après un partage de succession, le terrain appartient à mon petit
frère, mais malgré mes plusieurs interventions à coups de labours, plantages,
irrigation, rien ne va plus. Surtout, quand l'eau des robinets est très peu recommandable à l'irrigation et encore moins à la consommation, car amer, acide, de couleur rouge et plein de désinfectants. Cette fois, je viens de donner quatre vingt lires
d’eau à chacune des figuiers, et entrepris de planter une centaine de grains de
pastèques et de melons, mais malgré l’eau douce directement arroser de la
citerne d’eau de pluie, rares qui ont dépassé les quatre centimètres. Cette
fois je ne vais pas lâcher ma détermination à replanter le terrain,
premièrement afin de convaincre mon frère de revenir de sa longue migration
injustifiée, deuxièmement afin de faire revivre cet endroit paternel de Baraka et
troisièmement afin de satisfaire ma fantaisie de solidarité avec les victimes
de la migration par mer, à travers les pastèques.
Lihidheb Mohsen 14.05.2022
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