dimanche 31 janvier 2021

Les beignets de l'aube, naissant


Pour la deuxième fois, qu’il passe chez moi, pour faire le petit jardin, avec un soin d’ami de la nature, il fit le nécessaire, sans prendre son dû la première fois, et ne reçut que les deux tiers de ce qu’il fallait, la deuxième fois, malgré mon instance. Une sagesse innée, d’homme intègre et travailleur malgré ses soixante-dix-huit ans d’âge. Malgré le fait que j’étais plus jeune que lui d’une douzaine d’années, je ne pouvais faire des efforts physiques, tant mon corps était amorti et usé dans mon action écologique énergique pendant un quart de siècle non-stop. Entre deux parties d’échecs sur le net et l’habitude de s’asseoir devant le café du village, à regarder le virus corona passer, je me suis assis devant la maison, pour écouter mon ami, El Meddeb et voilà ce qu’il me dit…

« Nous étions presque cinq cents personnes, dans la prison sous terrain de Ghar El Melh, récoltés un par un après l’indépendance du pays. De jeunes gens qui avaient participé à la rébellion du nord-ouest du pays. On ne savait pas du tout ce que signifiait les allégeances, les alignements et l’appartenance active avec une tendance politique de libération, car l’essentiel pour nous était la résistance et le bonheur du pays. Pendant quatre ans et quelques mois, la détention était dure, sans jugement, ni même l’espoir de libération, car on croyait et on nous laissait croire que nous allons être exécuter un par un, chaque aube de chaque jour. Comme, étant incarcéré, on avait échappé à la machination politico-militaire de Bizerte, quand on amenait les jeunes gens de l’intérieur du pays comme du bétail, pour le laisser dans des fermes en attendant de le présenter aux tireurs de l’armée française en tant que martyr ce qui avait aussi servi les desseins cyniques indirectes de Bourguiba. On était en prison, et ça ne servait à rien de nous envoyer au front, car on était considéré hors d’état de nuire et plutôt morts et il suffisait de le faire au moment venu.

L’heure était venue et par groupes nous avions été acheminés vers Tunis, dans des hangars de Ras Tabia, attendant angoissés par qui ils vont commencer l’exécution, le pilori, l’échafaud…le peloton de mise à mort.  L’attente était dure, interminable, quelques jours, mais plus dure que les années de détention, sous la terre, dans les donjons… Lentement on commençait à entendre qu’il y avait des interventions en notre faveur, initiées par Allala Laouiti et Bahi Ladgham auprès du président de la république, pour nous libérer, sous prétexte qu’il ne servirait à rien de nous anéantir, car le danger du Youssefisme était parti et le prix avait été largement payé pour cette rébellion au sein du parti au sujet de l’indépendance. D’ailleurs, on était aussi un fardeau humain, à nourrir, à entretenir et surveiller…, mais les efforts de Si Laouiti, étaient inoubliables surtout par sa qualité de conseiller du président, quand il arriva dans le camp, nous disant de ne plus faire de la politique, ce qu’on ignorait parce qu’on ne se révoltait que juste pour le pays, de devoir porter de nouveaux noms car les premiers venaient d’être effacés des registres officiels et surtout, l’impératif  absolu de sortir un à un pour regagner les villages respectifs du nord-ouest du pays et même deux personnes ne devraient pas marcher ensemble.

                   Comme des animaux sauvages libérés de la captivité, croyant chaque jour venir une exécution collective, nous sommes sortis, courant, dans toutes les directions, car en ce moment, il nous suffisait de s’éloigner de la mort le plus vite possible. Je suis sorti en hâte, sans le moindre regard derrière moi, ou vers mes compagnons, qui se sont effacés mutuellement pour se dissoudre dans les ruelles de la capitale. Sans le sou, avec de veilles sandales, j’ai dû faire la route à pieds, avec un entrain de bonheur et de joie de la liberté. Un élan suffisant pour que je sente que j’ai des ailes, voltige, dansant au milieu de la route asphaltée, respire l’air doux de la campagne de plus en plus envahissante. Courant quelques fois, marchant d’autres, les plantes des pieds me brulaient, les sandales à la main pour les préserver de l’usure, la fatigue me gagnait et la soif encore plus. Depuis le petit casse-croute du campement du matin, ma bouche s’asséchait de plus en plus. La capitale s’éloignait et la nuit tombait, m’enveloppait de son voile opaque, qui m’avait poussé à la marche à grandes enjambées. A un moment, j’ai pu entrevoir, des plantations de melons et de pastèques de part et d’autre de la route, sur lesquelles, j’avais plongé affamés, cassant les fruits sur ma tête, entrant la face dedans et mangeant à pleines bouchées pour rassasier ma faim centenaire et ma soif millénaire. Un don du ciel, qui m’avait revigoré et me donna encore de l’énergie pour avaler la route. En effet, il fallait le faire, surtout quand des millions de moustiques commencèrent à m’attaquer de toutes les côtés, et ne pu m’en débarrasser que par le fait de courir à toute vitesse, une course rapide et constante, qui m’aida à faire de la route, pour de bon, jusqu’au moment où de petites lumières pointaient à l’horizon, annonçant une petite ville sur le chemin. Avec les premières lumières de l’aube, j’entendis les aboiements de chiens annonçant des habitations proches. Devant le seul local ouvert de la petite ville, avec à la façade une lampe électrique illuminant la route, je me suis arrêté net, le ventre creux, les yeux envieux et la bouche désireuse, à regarder les beignets croustillants et fumants dans le réceptacle dégoulinant. L’artiste-artisan culinaire, Hwiwi, originaire de Béni Khedache, remarqua l’homme devant sa boutique, visiblement affamé, le crane raser, signe qu’il sortait de prison et puisqu’il n’entrait pas, tout de suite, les sous lui manqueraient, certainement. Il m’invita alors, à prendre un beignet gratuitement, me rajouta un autre, que j’avais avalé gloutonnement. En plus d’une bonne ration d’eau de robinet, je m’apprêtais à reprendre la route, quand un homme respectable entra et m’invita encore à reprendre des beignets. D’une perspicacité étonnante, il remarqua ma situation et mon profil à partir de ma physionomie, ma coiffure et mon accoutrement, ce que j’avais confirmé suite à ses questions amicales. Alors, il m’amena vers la route, arrêta une voiture de passage et ordonna convenablement qu’on me prenne jusqu’à la prochaine ville et il tira de sa poche un billet de cinq dinars, qu’il me donna secrètement dans la main.

                   Avec autant d’argent, d’un honorable concitoyen patriote, je me suis installé dans le plus grand café de la prochaine ville et me réconforta de confiance, mais, mon père, que je n’avais pas vu depuis cinq ans, ne m’avait pas bien reçu, à cause des années perdus de ma vie, dans des tergiversations politiques insensés. Pour un vieux paysan de la compagne, il ne pouvait en être autrement. Heureusement, qu’il ne savait pas que son fils avait frôlé la mort des centaines de fois.

                   M’adressant au chef du secteur d’autrefois, un brave homme, ce dernier m’envoya vers un chantier dans la ville de Sejnene pour travailler, tout en me priant, de prendre un nouveau nom, comme convenu, tout en insistant de ne pas l’impliquer avec les autorités, si par mégarde je prendrais un nouveau nom avec l’âge de cinq ans n’allant pas avec ma stature et inadéquat. »

Ainsi, s’acheva la narration de Si El Meddeb, l’homme sage, le pieux, le social et le serviteur…, des dénominations, qu’il avait acquis bien plus tard, quand il atterrit à Zarzis, s’y installa et fonda une famille. Mais comme la nature, fait les choses dans le sens de sa nature, son fils fut blessé gravement, pendant la révolution de 2011, comme si l’exécution de laquelle le père échappa de justesse, le suivit partout. Heureusement, son fils, Mohamed, s’en était sorti, fondit aussi une famille et affronta avec son brave père, les vicissitudes de la vie et la médiocrité de plusieurs…politicards.  

                    Lihidheb Mohsen éco artiste 31.01.21  

 

vendredi 15 janvier 2021

Tiges de Sorgo

 


                  


Sous les hautes tiges de sorgos, assez hauts, dans des carrées irrigués une fois par semaine, avec le froufrou des grandes feuilles, trainaient nos corps frêles, caché de l’œil de rapace du paysan de la place, pour sortir de l’autre côté, échappés d’un adulte fâché. Aux pieds des palmiers, de cette oasis maritime, de petites exploitations, par leur mouvement et leur verdure, caressaient nos angoisses d’enfants confiants. Comme les palmes servaient à alimenter le bétail, couvrir les toits, faire du feu, filer des cordes, faire peur aux petits poissons…, le tronc servaient aussi à faire les toitures des gourbis, garder le feu pour tout le village allumé pendant trois semaines, ainsi gratter les cellules de sa contexture pour en alimenter, avec des noyaux de dates brisés, les chameaux toujours ruminants. Pendant les récoltes et justes après les diners, s’il y en avait, les femmes affluaient chez les propriétaires, pour dénoyauter les dates afin de les sécher, ou défueillaient les tiges de sorgos pour rentrer tard à la maison, avec un bon tas sur le dos de feuilles encore vertes pour les moutons gloutons. Pour les tressages des tiges pour en faire des sortes de tapies, pour cabanes et abris, il fallait des installations et beaucoup de temps.

                  Dans cette atmosphère dans le climat du désert, des gens affluaient pour s’approvisionner en dates séchées, estiver leurs bêtes sous les palmiers pré de la mer, ou s’installaient pour de bon pourchassés par les colons du pays voisin de l’orient. En effet, ces derniers, arrivaient dans de conditions difficiles, des bébés dans leurs bras, l’attirail de thé dans les mains et un nuage de menace et de faim flottant derrière eux. Aussitôt arrivés, tout le monde se précipita, pour les accueillir et nourrir, et commencer à leur construire de petits foyers, de cabanes, leur donnant leur dignité et vivre à proximité… Voilà un tronc d’arbre, voilà un tronc de palmier, un tapis de tige, quelques provisions de fruits secs et un peu de poudre de grains…, jusqu’au jour, où ils se remettraient sur pieds et commence à travailler et vivre de leurs propres efforts, à assister les gens, à garder leurs moutons, monter les palmiers ou aider les cultivateurs…

                    De cette période du village, Boughmiga se rappelle encore tout enfant, d’un mariage de l’un de ces gens, déjà installés depuis trente ans. Il était très surpris, avec ses amis, d’assister à un mariage, avec des rites différents, de péripéties particulières, comme faire la trêve d’une journée, entre les processions. La première se faisait carrément sur un âne, traversant le village, avec des étoffes multicolores et des filles marchant derrière. Mais ce qui resta dans sa mémoire, quand le soir, pendant le summum de la cohue, il tendit sa petite main, à travers la cloison en palmes, pour repêcher d’une grande marmite, les restes de boyaux de mouton cuits, qu’il prit, avec une explosion de plaisir, et partagea avec ses amis, avec un huitième de pain de l’épicier du village.

                   Dommage, ces gens-là partirent, quand leur pays devint riche, Idoudi, Nayli, Mosrati, Kikli, Zouari…, mais étrangement, coupèrent les ponts des relations, politique malpropre et euphorie de l’argent, oblige. Mais il y a toujours, des bons, des moins bons et des meilleurs partout, dans toutes les régions et les temps.

   Razzia

 

Vers le nord ils apprirent à courir,
A leurs chevaux rapides,
Pour attaquer et revenir
De leurs contrées arides.

Ils ont la surprise en faveur
Mais la distance les use,
Avec les fusils, ils font peur
Mais sans qu’ils en abusent,

Et souvent ils sont rattrapés,
Et le butin revient alors,
Aux pauvres fellahs razziés,
Grâces à des hommes forts.

Car eux aussi faisaient courir
Leurs chevaux vers l’orient,
Pour rattraper et recouvrir
Les troupeaux aux attaquants,

Ainsi se noua une drôle d’histoire,
Entre Nouayels et Akkara,
Les hommes bleus du Sahara
Et ceux du bord de la mer.

 

Lihidheb Mohsen
Zarzis Tunisie 20.05.04

 

                Le Guevara du Djeffara

 

De ses montagnes de Lybie,

Seul descendît,

Vers les plaines de Tunisie,

Et participa aux combats,

Des vaillants fellaghas.

Bien sur, la France le condamna

A mort par contumace,

Et malgré cette menace

Continua la guérilla.

Mais aussitôt l’indépendance

Et le retrait de la France,

Il fût cette fois encore,

Hélas, condamné à mort.

Il rentra alors chez lui,

Après un devoir accompli

En vrai soldat inconnu

Qui resta dans l’oubli.

Un soldat de liberté

Sans frontières milita

Et dans notre mémoire resta

L’objet de notre fierté.

Nos hommages aux résistants,

Qui combattirent l’injustice,

Sans calculs ni malices,

Refusant tous les tyrans.

 

Lihidheb mohsen eco artiste

4170 Zarzis 16.08.09

(A Si Abdallah Haddad, quelques parts

 dans les montagnes de Gheriane en Lybie)

 

                            Assemblage et texte le 15.01.21