Par
inadvertance peut être, par le pouvoir de traçabilité des mouvements,
certainement, par la traque des évènements, surement, par le focus sur l’intercorrélation
des « happenings », sans doute, que Boughmiga était parvenu à suivre
les relations les personnages et les comportements, ainsi qu’une toile aux fils
conducteurs conduisant au cœur de la toison d’Ulysse. Quand il choisît ce même
pseudonyme, ce n’était pas par hasard, ni par caprice d’intellectuel, mais plutôt
par le fait d’une influence latente de plusieurs personnalités sur sa propre aura.
Par crédibilité, honnêteté et par reconnaissance, ils seront cités, par ordre
d’influence, d’autrefois, sur sa petite conscience permissible et ouverte.
-
Ztoot : Il
était un mendiant sillonnant les villages de paysans, de long en large à
recevoir le peu de grains ou d’huile d’olives qu’on lui donnait. Un homme très
grand, maigre et sec comme un arbre mort, il portait une Wazra blanche délavée
par l’usure et sur l’épaule pendait une bandoulière en poils de chèvres. Un
turban entourait sa tête au-dessus de sourcils et des moustaches blanches. Deux
longs bâtons étaient toujours dans ses mains, qu’il croisait derrière lui en
permanence, afin de se protéger et de dissuader les chiens des maisons en leur
fermant l’accès à ses maigres jambes. Malgré que Ztoot passait une fois par
mois, tout au long de l’oasis, il faisait partie du paysage et les femmes au
foyer lui réservaient toujours quelque chose à chaque passage à travers les
haies et les sentiers. Sa silhouette à la ventilation arrière dans la chaleur
et sous les aboiements des chiens, lui donnait chaque fois, une légitimité sur
l’endroit, une sagesse humble et une appartenance à la réalité globale et
mystique. Tout le monde pensait qu’il portait une certaine Baraka et beaucoup
de chance et bonheur.
-
Kechlef : Un homme du nord de l’oasis marin, le
village longitudinal sur une dizaine de kilomètres, qui longeait chaque jours
la plage en chantant à haute voix, « …la route du littoral est exclusivement
à moi toute » en allant et revenant sur une longue distance. Les grandes
mères, pour faire peur à leurs neveux et les dissuader d’aller à la mer pendant
la canicule, le citaient avec gravité, comme un fantôme croqueur d’enfants.
Cette appropriation des espaces, cette affirmation sur son milieu et ce
« me voilà » étaient impressionnants, surtout dans une société
traditionnelle, unanimiste et distraite.
-
Guenèguen : Personne ne sait quand il est
descendu vers le village, des prairies immenses de la Djeffara. Le géant qui
descendait vers la mer. Grand et fort sans arrogance, il portait des vêtements
d’ouvrier, ce qui laisse supposer qu’il serait passé par d’autres endroits de
travail de chantier. Célibataire et comme chaque personne arrivante au village,
elle était accueillie par une famille influente de propriétaires terriens
travaillant aussi la mer, qui le laissait vivre dans sa périphérie à condition
de rester à son service en premier lieu. Pour le taquiner, les enfants disaient
de lui : « Guenèguen un grand pain ne peut lui suffire, Guenèguen une
jarre d’eau ne peut étancher sa soif, Guenèguen son grand drap ne peut le
couvrir, Guenèguen que Dieu le garde ». Toutefois, Guenèguen n’avait
jamais travaillé à la mer malgré l’expansion de cette activité de la pêche aux
éponges pendant cette période des années soixante. En plus de ses activités
journalières ou saisonnières avec la famille, qui lui avait construit avec le
temps une petite maison indépendante sur un lopin de terre entre les oliviers,
il aimait faire d’autres choses vers lesquels il s’était dirigé progressivement,
comme vider les grands camions des sacs de ciment, faire des collations aux
écoliers dans la petite boutique et surtout jouer aux cartes dans le petit café
ou à l’occasion des rassemblements humains. En mauvais perdant, on l’imagine
encore avec son œil louchant, servir les cartes de la scopa avec soin, puis
ouvrir les siennes méticuleusement afin de savourer la victoire ou se refrogner
stoïquement en mauvais perdant. Mais, comme dans la plupart des sociétés, la
stature de Guenèguen, l’avait poussé à faire des travaux durs, généralement
inoffensifs, sauf que les dizaines de milliers de sacs de ciments qu’il avait
transporté sur son dos, avaient affecté ses poumons au point de s’éteindre
lentement comme une bougie, Allah Yarhma. Sans laisser d’enfants, sa compagne, rentra
en Libye pour rejoindre son peuple, les Rbayaa, pasteurs de chameaux et de
moutons dans toute la Djeffara.
-
Hless, Bennahiya, Hamrouni, Salah… : Consécutivement,
ils avaient rendu leurs services à ladite famille, dans les domaines
domestiques, de pâturage, de cueillette des olives, de la moisson, du transport
sur la charrette et surtout leur disponibilité à tout moment. Il faut dire que
le chef de la grande de famille, avait acquis sa notoriété par sa force de
travail à la pêche aux éponges et son acuité visuelle incomparable à dénicher
cet animal tapi sous les eaux de la mer. Cette promotion sociale acquise, lui
avait permis de dominer quelques tribus, ce qui lui donna la possibilité de
voir certains cas sociaux et les prendre en main, par le fait de les employer,
nourrir, vêtir, quelques fois marier et payer. Dans le temps, chaque famille,
avait des gens autour d’elle, pour l’assister dans les occasions sociales et
faire un espace d’entre aide automatique. D’ailleurs, chaque famille, était en
fait, un petit monde de convivialité effective pour les autres. Une
organisation, qui n’existe plus maintenant, quant il faut des traiteurs pour
faire la cuisine et faire le service, des musiciennes pour chanter auprès des
femmes et des disc jockeys pour ébranler le village le soir par leur tapage de
mauvais gout. Cette catégorie de personnes, n’était nullement persécuté ou
exploité, mais sujette au partage des rôles et des devoirs sociaux. Quand Slah
passait avec sa charrette neuve aux clochettes brillantes sur la selle, dans un
tintamarre de sons et de coups de sabots, les gens le regardaient passer, avec
envie et admiration. Quand Hless, marchait avec son âne et ses béliers, devant
son grand troupeau gardé par les chiens, il fallait leur laisser de la place
pour s’abreuver à même le ruisseau irrigant les sorgos de l’oasis. Quant à
Hamrouni, avec sa vieille chéchia rouge, sa Wazra brune, son bâton de berger et
son sourire constant, était celui qui resta le plus dans le village, enfoui en
plein dans le paysage, intégré dans les occupations habituelles, jusqu’au jour
où son maitre décéda. Alors il rentra à sa ville natale de l’intérieur du pays.
Ainsi, la contexture sociale changea, du traitement collectif du quotidien,
vers l’individualisation qui congédia poliment les acteurs de l’ancien temps.
Avec bien d’autres indices,
imagos, incidents, contes, paysages…, ces références humaines, avaient amené
Boughmiga, à se donner ce même pseudonyme, par respect au bon peuple, à la
sagesse sociale, à l’humilité des gens bien et à la baraka des anciens. Le nom
Boughmiga est connu au sud Tunisien et une grande partie de la Libye, désignant
l’homme très pauvre, le mendiant mystique, le porteur de la sagesse et l’anti
héros, qui à la fin, porte toujours une grande partie de la vérité et de ce qu’il
fallait faire.
Il y a quelques jours,
malgré le coronavirus prépondérant et menaçant, un groupe de touristes
étranger, vint à la trace de Boughmiga à son musée écologique mémoire de la mer
et de l’homme et ses installations artistiques géantes, de Lemsa, Alouane, Makhadha,
Sebkha Touila et El Kantara dans la mer vers Djerba.
Ainsi, Boughmiga essaie de
rester fidèle à son nom, aux gens bien, à ces engagements écologiques et à la
mémoire des migrants clandestins morts en mer.
Lihidheb Mohsen 16.10.20