vendredi 16 octobre 2020

Sur les traces de Boughmiga.

 

 

 


                  


Par inadvertance
peut être, par le pouvoir de traçabilité des mouvements, certainement, par la traque des évènements, surement, par le focus sur l’intercorrélation des « happenings », sans doute, que Boughmiga était parvenu à suivre les relations les personnages et les comportements, ainsi qu’une toile aux fils conducteurs conduisant au cœur de la toison d’Ulysse. Quand il choisît ce même pseudonyme, ce n’était pas par hasard, ni par caprice d’intellectuel, mais plutôt par le fait d’une influence latente de plusieurs personnalités sur sa propre aura. Par crédibilité, honnêteté et par reconnaissance, ils seront cités, par ordre d’influence, d’autrefois, sur sa petite conscience permissible et ouverte.

-       Ztoot :  Il était un mendiant sillonnant les villages de paysans, de long en large à recevoir le peu de grains ou d’huile d’olives qu’on lui donnait. Un homme très grand, maigre et sec comme un arbre mort, il portait une Wazra blanche délavée par l’usure et sur l’épaule pendait une bandoulière en poils de chèvres. Un turban entourait sa tête au-dessus de sourcils et des moustaches blanches. Deux longs bâtons étaient toujours dans ses mains, qu’il croisait derrière lui en permanence, afin de se protéger et de dissuader les chiens des maisons en leur fermant l’accès à ses maigres jambes. Malgré que Ztoot passait une fois par mois, tout au long de l’oasis, il faisait partie du paysage et les femmes au foyer lui réservaient toujours quelque chose à chaque passage à travers les haies et les sentiers. Sa silhouette à la ventilation arrière dans la chaleur et sous les aboiements des chiens, lui donnait chaque fois, une légitimité sur l’endroit, une sagesse humble et une appartenance à la réalité globale et mystique. Tout le monde pensait qu’il portait une certaine Baraka et beaucoup de chance et bonheur.

-       Kechlef : Un homme du nord de l’oasis marin, le village longitudinal sur une dizaine de kilomètres, qui longeait chaque jours la plage en chantant à haute voix, « …la route du littoral est exclusivement à moi toute » en allant et revenant sur une longue distance. Les grandes mères, pour faire peur à leurs neveux et les dissuader d’aller à la mer pendant la canicule, le citaient avec gravité, comme un fantôme croqueur d’enfants. Cette appropriation des espaces, cette affirmation sur son milieu et ce « me voilà » étaient impressionnants, surtout dans une société traditionnelle, unanimiste et distraite.

-       Guenèguen : Personne ne sait quand il est descendu vers le village, des prairies immenses de la Djeffara. Le géant qui descendait vers la mer. Grand et fort sans arrogance, il portait des vêtements d’ouvrier, ce qui laisse supposer qu’il serait passé par d’autres endroits de travail de chantier. Célibataire et comme chaque personne arrivante au village, elle était accueillie par une famille influente de propriétaires terriens travaillant aussi la mer, qui le laissait vivre dans sa périphérie à condition de rester à son service en premier lieu. Pour le taquiner, les enfants disaient de lui : « Guenèguen un grand pain ne peut lui suffire, Guenèguen une jarre d’eau ne peut étancher sa soif, Guenèguen son grand drap ne peut le couvrir, Guenèguen que Dieu le garde ». Toutefois, Guenèguen n’avait jamais travaillé à la mer malgré l’expansion de cette activité de la pêche aux éponges pendant cette période des années soixante. En plus de ses activités journalières ou saisonnières avec la famille, qui lui avait construit avec le temps une petite maison indépendante sur un lopin de terre entre les oliviers, il aimait faire d’autres choses vers lesquels il s’était dirigé progressivement, comme vider les grands camions des sacs de ciment, faire des collations aux écoliers dans la petite boutique et surtout jouer aux cartes dans le petit café ou à l’occasion des rassemblements humains. En mauvais perdant, on l’imagine encore avec son œil louchant, servir les cartes de la scopa avec soin, puis ouvrir les siennes méticuleusement afin de savourer la victoire ou se refrogner stoïquement en mauvais perdant. Mais, comme dans la plupart des sociétés, la stature de Guenèguen, l’avait poussé à faire des travaux durs, généralement inoffensifs, sauf que les dizaines de milliers de sacs de ciments qu’il avait transporté sur son dos, avaient affecté ses poumons au point de s’éteindre lentement comme une bougie, Allah Yarhma. Sans laisser d’enfants, sa compagne, rentra en Libye pour rejoindre son peuple, les Rbayaa, pasteurs de chameaux et de moutons dans toute la Djeffara.

-       Hless, Bennahiya, Hamrouni, Salah… : Consécutivement, ils avaient rendu leurs services à ladite famille, dans les domaines domestiques, de pâturage, de cueillette des olives, de la moisson, du transport sur la charrette et surtout leur disponibilité à tout moment. Il faut dire que le chef de la grande de famille, avait acquis sa notoriété par sa force de travail à la pêche aux éponges et son acuité visuelle incomparable à dénicher cet animal tapi sous les eaux de la mer. Cette promotion sociale acquise, lui avait permis de dominer quelques tribus, ce qui lui donna la possibilité de voir certains cas sociaux et les prendre en main, par le fait de les employer, nourrir, vêtir, quelques fois marier et payer. Dans le temps, chaque famille, avait des gens autour d’elle, pour l’assister dans les occasions sociales et faire un espace d’entre aide automatique. D’ailleurs, chaque famille, était en fait, un petit monde de convivialité effective pour les autres. Une organisation, qui n’existe plus maintenant, quant il faut des traiteurs pour faire la cuisine et faire le service, des musiciennes pour chanter auprès des femmes et des disc jockeys pour ébranler le village le soir par leur tapage de mauvais gout. Cette catégorie de personnes, n’était nullement persécuté ou exploité, mais sujette au partage des rôles et des devoirs sociaux. Quand Slah passait avec sa charrette neuve aux clochettes brillantes sur la selle, dans un tintamarre de sons et de coups de sabots, les gens le regardaient passer, avec envie et admiration. Quand Hless, marchait avec son âne et ses béliers, devant son grand troupeau gardé par les chiens, il fallait leur laisser de la place pour s’abreuver à même le ruisseau irrigant les sorgos de l’oasis. Quant à Hamrouni, avec sa vieille chéchia rouge, sa Wazra brune, son bâton de berger et son sourire constant, était celui qui resta le plus dans le village, enfoui en plein dans le paysage, intégré dans les occupations habituelles, jusqu’au jour où son maitre décéda. Alors il rentra à sa ville natale de l’intérieur du pays. Ainsi, la contexture sociale changea, du traitement collectif du quotidien, vers l’individualisation qui congédia poliment les acteurs de l’ancien temps.

                    Avec bien d’autres indices, imagos, incidents, contes, paysages…, ces références humaines, avaient amené Boughmiga, à se donner ce même pseudonyme, par respect au bon peuple, à la sagesse sociale, à l’humilité des gens bien et à la baraka des anciens. Le nom Boughmiga est connu au sud Tunisien et une grande partie de la Libye, désignant l’homme très pauvre, le mendiant mystique, le porteur de la sagesse et l’anti héros, qui à la fin, porte toujours une grande partie de la vérité et de ce qu’il fallait faire.

                   Il y a quelques jours, malgré le coronavirus prépondérant et menaçant, un groupe de touristes étranger, vint à la trace de Boughmiga à son musée écologique mémoire de la mer et de l’homme et ses installations artistiques géantes, de Lemsa, Alouane, Makhadha, Sebkha Touila et El Kantara dans la mer vers Djerba.

                  Ainsi, Boughmiga essaie de rester fidèle à son nom, aux gens bien, à ces engagements écologiques et à la mémoire des migrants clandestins morts en mer.

                      Lihidheb Mohsen 16.10.20

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