dimanche 11 octobre 2020

La résistance pacifique

 


                 


Les enfants des petits paysans, se bousculaient dans la salle de classe, pieds nus, avec des sacs en toiles et des bouts de régime de dattier pour compter, parmi les bouts de craie excavés de la colline avoisinante. Quelques-uns portaient encore les chechias qu’ils durent rejeter surtout quand le comportemental moderne était apprécié par l’école. L’un des élèves, fils de pêcheur, avait lancé son kabouss sur le toit du local mais quand le soleil frappa impitoyablement son crâne, il se précipita pour le reprendre en montant par un palmier proche de la salle de classe. Bien sûr, avec l’école coranique, qui enseignait tôt le matin, avec les chants des sourates, les ardoises en bois, le long bâton du Meddeb et la célèbre Falga, correction sur les plantes des pieds, cette nouvelle manière d’éduquer les enfants en les mettant debout les uns après les autres, puis les faire asseoir dans des rangées de tables et surtout la distribution de lait et de fromage… était attirante. L’instituteur étranger, était en soi curieux, surtout quand il ne parlait pas la langue et personne ne le comprend. De toutes les façons, ils étaient habitués à apprendre des mots et groupes de mots, qu’ils ne comprenaient pas et seuls les enfants dont les pères travaillaient aux lignes téléphoniques, pouvaient traduire quelques mots. Malgré tout, l’un des élèves s’amusait à trouer les pneus de la bicyclette du maitre qui venait sur la route sablonneuse depuis Zarzis, soit quatre kilomètres. Toutefois, à la longue, il avait été attrapé par les enfants et eut la correction qu’il fallait. Il n’y avait pas une animosité précise contre les étrangers, les colons, les mécréants…, mais tout un mélange indescriptible et global, de distanciation sociale et quelques fois comportementale. Ne dit-on pas, que c’est maintenant leur paradis, pendant que la nôtre sera à l’au-delà…, une réponse facile et catégorique aux questionnements innocentes des enfants. Quand l’un des élèves, devant les questions pressantes du maitre, se trouva coincer, il se faufila à travers les rangées et referma l’unique porte de l’extérieur par le grand verrou, laissant toute la classe prisonnière. Alors l’instituteur, entrepris d’appeler l’épicier du coin « Am Dhaou, Am Dhaou », pour venir libérer tout le monde. Les enfants se foutaient de cet isolement forcé et se chuchotaient joyeusement le courage et la hardiesse de leur collègue. D’ailleurs, c’était lui qui n’avait retenu de l’école et de l’instituteur que le mot libérateur de « rangez vos affaires ». Lui et bien d’autres, quand il fallait les chercher dans l’oasis, c’étaient les algues de la mer, qui étaient leur refuge adéquat et confortable. Une tendance à la désertion de l’école, qui depuis un siècle, ne cessa pas au point de voir sa teneur lors de sa comparaison entre les écoles publiques et les medrassa coraniques. Il faut dire que dans les ghorfas des mosquées, l’éducation n’était pas trop mal si ce n’était le courroux excessif du Meddeb et les corrections injustes par la falga sur les plantes des pieds. Pendant que dans les écoles publiques, le reflexe des enfants était toujours pour rater les cours, lors de l’absence du maitre ou autre empêchement, au point de les voir sortir de l’école comme des flèches. D’après le témoignage d’un directeur d’école, même les enfants de la première, agissaient de la sorte à chaque absence de leur instituteur. Une sorte de résistance générale et profonde au formatage du comportemental de chacun. Une conflictualité, qu’il faudrait atténuer de part et d’autre.

                    Comme on peut l’imaginer, l’oasis était touffue, compacte, sans qu’aucun endroit ne reste sans palmiers, arbustes, agrumes, céréales…, desservi en toile d’araignée par des ruisseaux d’eau provenant des dizaines de puits artésiens alimentant les plantations. Une sorte de petite jungle que les colons habitants la ville, évitaient et conseillaient à leurs enfants de ne pas s’en approcher. Même la baie des esclaves étaient à la limite nord du littoral de la ville, que personne ne transgressait, tant la végétation était dense et le territoire incontrôlé. Pendant les fins de semaines, des soldats se hasardaient le long des plages à marcher difficilement sur les sables, mais une fois deux d’entre eux ne rentrèrent pas à la caserne le lundi et une patrouille alla les chercher pour les trouver ligotés et liés à des palmiers. Ils avaient parait-il, affiché un comportemental immoral vis-à-vis des habitants et les jeunes gens du village les avaient neutralisés en attendant leurs chefs. Une réaction dissuasive et mesurée, pour que certains comportements ne se répètent plus dans un monde de villageois et de paysans.

                                          Lihidheb Mohsen 11.10.20

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