mercredi 7 octobre 2020

Chenini, sur les traces de la mer.

 


                  


A peine si les maisons troglodytes se laissaient voir sur le flan du théâtre montagneux géant, si ce n’étaient les sillons blancs légèrement visibles de loin constituant les étages en courbes décroissantes ou montantes des ruelles formés par le sable excavé de la montagne. Devant chaque grotte faite de mains d’hommes, une murette en pierre, abritait les animaux domestiques, comme l’âne indispensable pour le transport de l’eau jusqu’en haut, des moutons et le chien de garde et de compagnie, animaient l’endroit par leur bruit. A l’intérieur de la terre, il faisait toujours agréable, chaud en hiver et frais pendant l’été, avec un sentiment de quiétude comme dans le ventre de sa mère. Comme ça, depuis des milliers d’années, les berbères s’étaient réfugiés dans ces endroits naturellement sécurisés, loin des tribus belliqueuses et des instabilités politiques successives dans l’histoire. Ils devaient quand même payer en nature annuellement une tribu protectrice de la plaine. Généralement et selon les saisons et la pluie, quelques quintaux de blé, des étoffes de laine tissés, des toiles en poil de chèvres pour construire des tentes, des moutons…suffisaient à calmer cette soumission convenue. Une soumission qui stipulait qu’ils seront défendus en cas d’agression, bien sûr, si dans les faits le protecteur n’est pas lui-même le danger potentiel.  Heureusement, comme si le protecteur colonial ne le savait pas et ménageait cette injustice, l’indépendance avait aboli progressivement cette subordination sociale. Paradoxalement, cet air de liberté, avait aussi sur le dos les devoirs d’un capitalisme sauvage qui construisit au bas de la montagne, tout un nouveau village de béton comme une souricière, afin d’inciter ces berbères à y déménager et à s’inscrire dans le parcours moderne de la consommation. Autrement, que ferait un régime politique d’hommes libres, inaccessibles sur les hauteurs, sans pouvoir les soumettre aux diverses facturations des services d’une prétendue citoyenneté… De leur nature et leur dur caractère, très peu de familles avaient répondu à cet appel politique de déménager et le regrettèrent après amèrement, tant les habitations en briques étaient petites pour une vie de famille paysanne. Au sommet de cet amphithéâtre naturel, s’érigeait le ksar, une sorte de fort construit en pierre et inaccessible aux éventuels attaquants. Juste à côté, la blancheur de la mosquée et les tombes des sept dormants, s’imposaient majestueusement. Des références religieuses et maraboutiques, qui rassuraient ces peuples toujours fugitifs et alliés de la nature.

                   Dans cette atmosphère de libération collective de l’ignorance, de la dépendance tribale et par l’accès aux terres mitoyennes…de la pauvreté, les jeunes de Chenini se ruèrent sur la petite école en bas, comme sur la scène des artistes de cet amphithéâtre montagneux. Une ruée, qui répond à l’ouverture de l’horizon et à l’accès vers le monde. C’était bien là aussi, qu’un ami avait commencé sa carrière d’enseignant, participant lui aussi, à sa manière à ce mouvement culturel et humain dans le temps. Il fit de son mieux pour les accompagner vers la connaissance et le savoir. A un moment, quand il leur parla des sillons horizontaux au sommet des montagnes, aucun d’entre les élèves n’avait imaginé que c’était le niveau de la mer d’autrefois, et que c’était les traces du jeté des vagues. Même les trous avaient abrité des mérous et des daurades, leur avait-il dit. A travers cette approche, l’instituteur remarqua que personne ne connaissait la mer, car les élèves ne se sont jamais déplacés ailleurs et la télévision n’existait pas encore, ni même l’électricité. Alors, les enfants avaient commencé à demander comment la mer pouvait arriver jusqu’en haut et pourrait-elle noyer l’oued du village, si elle revienne ici. Une question, qui montra le manque de connaissances des enfants et poussa Monsieur l’instituteur à réfléchir comment il pouvait les amener à voir la mer directement. Il prit alors la décision d’organiser une excursion en bus jusqu’au littoral distant de deux cents kilomètres.

                   Ainsi, ils descendirent des hauteurs la piste pour la première fois de leur vie, à découvrir l’oasis de Rogba, la ville de Foum Tataouine et ses voitures grouillantes, les ksars immenses de Médenine, la ville d’El Mouensa, pour arriver sur le village oasis de Souihel de son coté ouest, du coté de la colline longitudinale, parallèle à la mer. Quand ils virent la mer de cette altitude, pour la première fois de leurs petites vies, ils eurent presque le vertige devant l’immensité de cette flaque d’eau envahissante, car au fur et à mesure que le bus avançait, ils sentaient qu’ils étaient sur le point de plonger dedans. L’angoisse et la curiosité étaient grandes, surtout quand aucun d’eux ne savait nager. En allant vers Djerba sur la chaussée romaine, ils étaient aux anges, quand leur instituteur leur avait montré comment le bus roulait directement sur la mer qu’on pouvait voir à sa droite et à sa gauche. Il ne manqua pas de les épater par l’histoire mythologique du fort du scorpion, bâti en pleine mer juste au milieu en tant que poste de garde avancé. L’histoire populaire dit que c’était un riche paysan qui construisit ce fort, afin d’éloigner son dernier enfant des piqures de scorpions, qui avaient causé la mort de plusieurs de sa progéniture. Pourtant, même caché en pleine mer, son dernier fils était mort par la même façons, quand il avait amené le scorpion à son fils, caché dans une grappe de raisin…

                  Les petits berbères de Chenini, honorèrent le fort espagnol de Ghazi Mustapha, en le visitant de haut en bas, courant sur les passerelles tout en simulant des attaques et des défenses contres des envahisseurs corsaires. Les boules de canons étaient suffisantes et les boules de pierres pour catapultes aussi. Il avait suffi d’un peu plus de bois pour chauffer l’huile afin de le déverser sur les éventuels assaillants par-dessus les hautes murailles. De toutes les façons, en tant qu’aiglons montagnards, il était convenu qu’ils gagnent et ils gagnèrent comme toujours cette bataille fictive avec l’ennemi. Une bataille, que gagneront certainement, tous les pauvres du monde contre l’injustice.

                   Un peu plus loin, juste entre le fort et le port, là, où une tour macabre aurait été érigée, pendant une partie de l’histoire mouvementée de l’île, les petits berbères se mirent à se baigner et mouillèrent leurs têtes, dans cette fraicheur de l’eau paisible et la nature merveilleuse. Ainsi, se mélangèrent, les têtes, les idées, les ethnies, les différences, les espaces, l’avenir, les perspectives et l’élan collectif vers un monde meilleur, dans cette étendue d’eau, qui même si elle apporte des assaillants et corsaires, elle a toujours été un espace de liberté et de découvertes.

                   Depuis, les enfants de Chenini, ont appris à se situer, à connaitre les dimensions et s’inscrire dans le parcours général du pays. La mer était certainement là à Chenini, pendant qu’ils étaient là dans la mer…et il suffit de réduire les espaces et le temps, pour constater l’humanité des hommes et la beauté de la vie.

                  Quelques décennies plus tard, le vénérable instituteur, muté en tant que directeur d’une école du littoral, organisa aussi, une petite excursion à ses élèves pour visiter le musée mémoire de la mer et de l’homme, ce que fut fait, dans le même élan d’épanouissement des esprits et l’amour de la connaissance.

                                    Lihidheb Mohsen éco artiste, 07.10.20

                      Hommages à Si Mhemed Krimi, l’instituteur, humain.

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