Une fin de mois d’aout, encore très chaude, mais il fallait bien garder son rythme et marcher longuement, comme d’habitude sur les plages du sud de Zarzis, jusqu’à l’Isthme d’El Bibane. Normalement je sortais seul, mais l’avant dernière fois était avec un jeune cinéaste qui insistait à prendre des prises d’une partie de mes activités écologiques et humanitaires. Loin, bien loin, aux environs de Lemsa, en descendant vers la mer, retroussant nos pantalons et enfonçant nos orteils pour ne pas glisser dans le fond très lisse et déstabilisant, on avait remarqué deux personnes qui nous précédaient vers la mer. Etrangement, ils portaient des chemises blanches et des pantalons noirs sans rien avoir dans les mains et marchaient d’une manière décidée qui frôle la précipitation. Puisqu’ils n’étaient visiblement pas de pêcheurs, toute en exécutant notre tâche, nous continuâmes à les observer de loin, au point de les voir pousser une petite barque vers le large et entendre un peu plus tard, le bruit d’un moteur puissant. C’était mon compagnon qui douta des mouvements et pensa que c’était une opération de migration clandestine en train de se préparer dans toutes ses étapes de rencontres, de timing et de contournement des contrôles.
Le
lendemain, j’étais seul dans mon action écologique au bord de la mer et
remarqua aussi un mouvement suspect de voitures de locations qui s’arrêtaient
dans des endroits précis, pour l’observation peut être et le rabattage et la
collecte des postulants à la Harga. Il faut dire que d’habitude je laissais ma
voiture ouverte et les clefs dans la serrure, mais cette fois, je les ai pris
dans ma poche pour faire les deux kilomètres de plages de part et d’autre de l’engin.
Le vent était encore très chaud et je devais ligoter mon chapeau de paille avec
une corde autour de ma tête et mon menton. Normalement, je rencontrais peu de
personnes mais cette fois, un vieux venait dans ma direction cherchant du
goudron, qui d’après lui, lui servait pour l’étanchéité de la toiture de sa
maison modeste. Je lui avais signalé les endroits où j’ai vu les rares calottes
de goudron, qui pourraient le servir. Il m’avait dit qu’il était marin et se rappelle
encore la quantité énorme de ce pétrole coagulé et qui brulait les plantes des
pieds chaque fois qu’on marchait dessus, à cause de la chaleur brulante. Plus
loin, j’ai rencontré un pêcheur en train de déposer sa moto pour entrer en mer
et se plaignit des inconnus qui circulaient depuis quelques mois et les vols de
filets, moteurs et même bateaux. Des outils de travail de gens pauvres, pour
des familles pauvres et dans un milieu de surpêche notoire. En revenant vers ma
voiture, j’ai rencontré encore une fois le vieux du goudron, en train de
démarrer vainement sa vespa refroidie par l’humidité de la mer. Je lui ai dit
que je vais venir avec ma voiture et le prendre vers sa maison si l’engin n’a
pas démarrer. Il me raconta qu’il connait mes voitures usées par l’oxydation du
sel marin et tous se collègues considéraient ma présence sur les plages depuis
trente ans, comme un accompagnement amical et un réconfort de secours en cas de
pannes. Il est aussi vrai que chaque fois que je trouve quelque chose rejetée
de la mer et pouvait leur servir, je la donnais avec plaisir au premier d’entre
eux. Un aviron, un bidon, une corde, un piquet de signalement de filets…. Il m’a
dit, qu’il aimait ce travail, malgré les maigres pêches, mais depuis l’accident
mortel d’un frère ainsi qu’un autre, il avait arrêté ce métier de souffrances
et d’ingratitude. C’était en 2015, parait-il, quand le mois de ramadan coïncidait
en été et en pleine chaleur, son frère, lors d’une journée torride, malgré le
jeûne, s’obstina à aller à Lemsa et mourut de soif et d’exténuation. La deuxième
personne, survécu pendant un moment pour payer aussi le prix de cette obstination.
Ainsi, comme les migrants clandestins, qui risquent leurs vies pour un bien
être légitime et de plein droit, les pauvres pêcheurs aussi, par le besoin et
quelques fois la foi, endurent les difficultés climatiques et mécaniques, au
point d’en mourir en vraies martyrs de la lutte pour la survie.
Bien sûr, ils ne sont pas les martyrs de la guerre, de la violence et la
compétition au gain, mais les vrais martyrs du droit à la vie et l’humanité des
hommes.
Lihidheb Mohsen 01.09.2022
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