jeudi 7 juin 2018
La laine, produit millénaire.
C’était avec la visite de mon petit fils, cinq ans, que j’avais commencé à parler de l’histoire de la laine dans notre village, dont une partie avait accompagné ma jeunesse pionnière. Fils de famille de bergers, d’une tribu « Ouled Mhemed », spécialisé dans la vie pastorale dans une transhumance régulière entre Zarzis, la Choucha et quelques fois, quand la sécheresse culminait, elle allait aussi vers la région de Monastir au littoral centre du pays. D’ailleurs, j’ai encore des cousins là-bas, à quatre cents kilomètres et à un mois de marche à dos d’âne derrière le troupeau affamé. Cette mobilité était très agréable et les communautés traditionnelles s’acceptaient les uns les autres, que ce soit pour les pâturages ou même pour le labour quand il pleuvait chez l’autre. Car comme vous pouvez l’imaginer, c’était les hommes qui allaient à la pluie où elle est tombé et non la pluie qui venait aux gens « at home ». Donc quand les nuages s’aggloméraient sur Tataouine, par exemple, les tribus locales, réservaient une partie déterminée de leurs terres pour les autres qui viendraient pour le labour, la moisson ou même faire paitre les moutons. Toutes les régions faisaient ainsi et ce n’était pas forcément à cause des possibilités de la mécanique animale qui limitait l’ampleur de leurs actions agricoles, mais aussi une sorte d’investissement dans le futur et un espoir de survivance quand il ferait sec et aride chez eux. La tendance vers le nord, dans une sorte d’émigration écologique obligatoire, n’est pas nouvelle et les gens s’acceptaient les uns les autres dans une solidarité de partage des rôles et de respect mutuel.
Cherchant la concentration et l’attention de Si Mohamed Ali, j’avais commencé par lui parler des animaux et leurs utilités comme force de labour, de traction et de transport, leurs laits, leurs viandes, leurs laines, leurs valeurs marchandes…et passer sous silence le charcutage, malgré que mon père était boucher, pour parler de la tonte, la collecte, le lavage, le cardage, le peignage, le filage, le tissage, la coloration…et l’usage. Bien sur, toute une activité économique intégrée et inter complémentaire, qui s’incorporait dans l’action et le mouvement de touts les jours. Il y avait des femmes qui filaient la laine avec leurs fuseaux tout en gardant les moutons dans le campagne et ayant de la laine en réserve dans ses accoutrements. « Khobna ». D’autres le faisaient même en visitant des voisins ou en marchant car c’était possible en frottant le fuseau sur la cuisse pour le tourner, le tendre et enrouler le fil dans le sens contraire pour tirer encore de la laine et ainsi de suite. En images aussi belles que les autres, l’histoire contemporaine de ce produit, allait de sa tonte dans des cérémonies grandioses exclusives aux grands féodaux propriétaires de troupeaux et leurs serviteurs, pour se rappeler des belles femmes aux habits multicolores à laver la laine sur les bassins d’irrigation du village ou sur les rochers de la mer proche. Etant tout petit les premiers instits de notre petite école, me demandaient en rigolant avec mon père présent et complice, si je préférais voir les femmes des bassins d’irrigation ou celle du bord de la mer.
Après le lavage donc, il y avait lieu de carder la laine pour la libérer de sa concentration et augmenter son volume avec un outil dentelé de plusieurs dimensions qu’on craignait pour ne pas tomber dessus. Cet acte strictement familial et ne demande pas de cérémonie, comme celle du peignage qui s’organisaient entre jeunes filles appelées par la maitresse de maison pour travailler ensemble une quantité non négligeable de laine. Chaque épouse, chaque année, devait faire et faire faire, une « Wazra » ou un « Burnous » deux accoutrements pour leurs hommes, ainsi que des couvertures en laine éventuellement. Donc pendant une journée convenue d’avance, les filles affluaient à la maison et dans la joie commençaient à peigner la laine tout en chantant et montrant leur prouesse, leur application au travail et leur agilité aux futurs belles mères possibles. Cette « Raghata » ou « Touiza » pour les berbères, se terminait toujours par un grand tas de laine enliassé dans de grands morceaux de tissu et surtout finissait par un grand plat de couscous que l’on dégustait et disputait tout en mangeant à la main et lançant des boulets bien arrondis au fond des belles bouches. L’étape suivante, consiste dans le filage que les femmes exécutent individuellement tout en vaquant à leurs activités habituelles. Pour le tissage, il y a des ghorfas équipés de métiers spécialisés pour les Wazra et Burnous, pendant que la transformation des la laine de chèvres et chameaux est fait à la maison à même un attirail fixé sur la terre, pour tisser des « Ghrara » gros sacs pour le blé ou des morceaux de tente familiale pour la transhumance annuelle pour la cueillette des olives ou suivre les troupeaux.
Au stade final de cette technique de travail de la laine, ce sont des gens de l’Île de Djerba, qui pullulaient dans leurs boutiques profondes tout au fond de Djerba et partirent en masse dans toutes les villes et villages du sud, pour traiter les produits finis de la laine. Avec la mécanisation et la consommation du tissu industriel, leur nombre se réduisait à vue d’œil et seules quelques boutiques à métier de tisserand restent encore à Bengardane, à El Mouensa, à Souihel et Hassi Jerbi. Il faut rappeler que la laine était toujours et à travers l’histoire, un pont entre l’Île et la presqu’Île de Zarzis, qui comme elle fournissait de la laine, était aussi un marché pour la consommation des produits finis, Wazra, Burnous, Maryoul, couvertures… Cette relation organique, qui avait été, à partir de Meninx, la base à tout un essor de production et d’exportation des produits de la laine jusqu’aux ports lointains de la méditerranée, surtout quand on avait découvert la coloration indigo par le murex et proposer un produits fini qui est déjà fini et de grande qualité.
En vérifiant ce qu’avait retenu Mohamed Ali, de mon discours en lui montrant dans mon musée écologique, la laine, le cardeur, le fuseau, le métier à tisser en miniature…il était capable de me redire globalement les étapes principale de la transformation de la laine. J’espère encore, une renaissance générale pour la valorisation et le travail du local, car la laine n’est presque plus valorisé et jeter tout bonnement dans la nature. Boughmiga en avait trouvé à plusieurs reprises dans les déchetteries et grande fut sa surprise quand il constata, aussi à plusieurs reprises, de vieilles Wazra jetés à la poubelle, un habit traditionnel vénérable, qui servait plusieurs génération au point de l’utiliser en tant que langes pour les petits fils de trois génération. Un parcours écologique vertical et horizontal, juste, adéquat et intégré, à méditer et reconquérir.
Lihidheb Mohsen 07.06.18
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