jeudi 8 août 2019
Dali, comme Djerba.
Toutes les rues encore en sable de la ville de Houmt Souk, capitale de l’île de Djerba, étaient marquées par les traces en pierres zigzagantes des anciens ruisseaux d’eau de la centaine de puits desservant cet oasis verger. Comme des toiles d’araignées, ces petites canalisations, étaient nécessaires pour faire pousser les palmiers, les pommiers, les grenadiers, les corètes, les vignes, les carottes, les légumes, la luzerne… Il faut dire que Djerba, était fameuse dans toute la région, pour sa production en dattes « Lemsi », grenades, abricots, produits de la poterie et transformation de la laine en produits finis. Ces sources d’eau, dans un climat aride et difficile, faisaient en quelques sortes, et avec les activités de la mer, les grandes cultures de céréales et d’olives, les éléments des échanges et de la survie. L’extraction se faisait par les chameaux dans leur navette incessante sur une pente douce, déversant à chaque fois de l’eau dans de grands bassins de collecte et de distribution. Une création de la vie, par des centaines de rayonnements d’énergie aquatique sortant de la terre et fertilisant des ilots de verdure.
Suite à la proposition de Dali, ou Boughmiga junior, une comparaison sympathique avait été faite à partir d’un seul endroit, entre le puits avec ses canalisations d’autre fois et l’école pour enfants qui a pris la place de la source de l’endroit même. En effet, comme la place distribuait des denrées et une mentalité adéquate au moment d’alors, dans l’esprit des écoles coraniques d’antan, l’établissement éducatif d’aujourd’hui, distribue aussi du savoir, de la connaissance et de l’énergie humaine vers le monde. De cette optique comparative, Dali, proposa de parler de certains aspects du quotidien des hommes pendant les deux périodes aussi évolutives soient elles.
Paysage d’autrefois : Oasis de palmiers avec cultures à étages allant du grenadier aux légumes, des huttes en bois et tiges tressées, des haies de cactus et des fleurs géantes d’agaves, des routes en sable creusées par les sabots des animaux de traction.
Paysage d’aujourd’hui : des rues en lignes droites asphaltés, des constructions uniformes, des pylônes lugubres, des engins violents dans touts les sens, des cages confortables pour hommes. Des cages pour animaux…
Déchets d’autrefois : Néant, néant, néant, néant, néant….même les sauterelles et les peaux de moutons étaient comestibles…
Déchets d’aujourd’hui : Emballages en carton, en métal, nourriture, carburant, émission de gaz, consommation des énergies fossiles, divers…pour arriver à un niveau de zéro sur vingt à dix neuf sur vingt….dans une croissance néfaste non stop.
Homme d’autrefois : Costaud, intègre, paisible, travailleur, ambitieux, lucide…avec des produits locaux pour sa consommation et son accoutrement. Tend vers la conquête du pays et l’Algérie par sa vocation au commerce équitable et fournir ainsi une autre source de revenus pour combler les besoins de sa famille sur l’Île.
Homme d’aujourd’hui : Individuel, incertain mais ambitieux, sujets aux dépendances comme le tabac, le portable, la consommation provenant d’ailleurs, avec des accoutrements étranges…. Tend aussi vers l’étranger pour des raisons différentes tout en restant attaché à l’Île.
Consommation d’autrefois : Eau de pluie, poudre d’orge, blé, couscous, lait d’ovins et caprins, zoumita, bsissa, fruits, légumes, poissons secs, viande lors des fêtes…. Produits à la portée et presque gratuitement.
Consommation d’aujourd’hui : Eau vendu en bouteilles, lait vendu en boites en carton, tout est vendu en magasins de consommation, les besoins primaires sont devenus illimités, les mets locaux sont devenus rares en face des pâtes, du riz, la pizza, conserves….le tout à des prix onéreux…effaçant méticuleusement les produits locaux.
Bruits d’autrefois : Zâaa, Errr, Ekhht, Soss, Kiss, Chirr, Ijjhoh, Baghghli, bêlement des moutons, sabots des mulets de transport, coquericos des coqs, chameaux en rut, interpellations entre paysans, braiments des ânes, voix mesurée et agréable d’appel à la prière, cris des oiseaux, récitations des enfants à l’école coranique, youyou des femmes effectuant une entraide inter familiale « Raghata », crieur public annonçant le debut du Ramadan, le soir bruit des coups de souliers sur les scorpions chez les voisins…
Bruits d’aujourd’hui : Vrombissement des moteurs d’engins, clacksons, tic tac des horloges, bruits de moteurs de climatisations, musiques des téléviseurs, appels des portables, appels assourdissants et simultanés à la prière, bruits des avions, sirènes des ambulances, pétarades des feux d’artifices pour une raison ou une autre, illuminant le ciel et effrayant les enfants et les animaux par leurs explosions…
Soins d’autrefois : Saignée du front, saignée du haut de la nuque, massage à l’huile d’olive, points de brulures sur le ventre, points de brulures sur le ventre au dessus d’une feuille de cactus, lotion d’herbes, médication mystique par la Hadhra, gestuel et cérémonie d’extraction du mal, succion du poison des scorpions, fixation des fractures d’os par des bâtonnés, cachet d’aspirine ou « l’éléphant » du la boutique du village….le tout presque gratuitement.
Soins d’aujourd’hui : Hôpital, une dizaine de dispensaires, une centaine de médecins, une dizaine de cliniques, des centres spécialisés, une vingtaine de pharmacies, divers thérapeutes….à des prix souvent inabordables, sans que la santé ne s’améliore proportionnellement.
Petit déjeuner d’autrefois : Bsissa avec des dattes ou figues sèches, lait de chèvre…avec peut être un œuf du poulailler. Le tout produit gratuitement à la maison.
Petit déjeuner aujourd’hui : Rondelles de pain, beurre, confiture, miel, lait, œuf dur, café, brioches, chocolat, yaourt, gâteaux secs. Le tout acheté au magasin du coin ou la grande surface de la consommation.
Evènements importants autrefois : Finir d’apprendre par cœur ses sourates, rentrée scolaire, mariage pour manger du couscous, décès pour l’animation humaine, descente de la pluie, fête pour manger de la viande, cueillette des dattes, cueillette des olives, dépeçage d’un palmier tombé par le vent, mois de Ramadan, adieux des pèlerinages, les siroccos et les veillées familiales sur les monticules d’algues au bord de la mer, chasse aux scorpions le soir.
Evènements importants aujourd’hui : Avoir de l’argent, aller en France, réussir son bac, avoir ses papiers à l’étranger, réussir par touts les moyens, se battre pour être le plus malin, mariage, match de foot, festival, achat d’une voiture ou une maison luxueuse….
Cartables des écoliers autrefois : Un sac en tissu des aides onusiennes, des brindilles coupées des régimes de dattes pour apprendre à compter, de la craie directement extraite de la colline, un cahier, un livre qui avait déjà servi pour deux années scolaires au moins, une ardoise, un chiffon d’éponge, quelques crayons….
Cartable des écoliers d’aujourd’hui : Un cartable sac à dos flambant neuf chaque année, des cahiers pour chaque discipline, des livres pour chaque matière, des livres soit disant de soutien scolaire, une équerre, un compas, une règle, une gomme, un tailleur, un chiffon en mousse synthétique, un rapporteur, une machine à calculer, des papiers monnaie… une quantité que l’enfant ne pouvait porter à la fois et devait l’apporter selon les besoins…
Achats d’autrefois : Cinquante grammes de tomates en conserve, vingt centilitres de pétrole pour la lampe, vingt centilitres d’huile d’olive, cent grammes de sucres avec dix grammes de thé noir, une pommade pour les yeux, un cachet d’aspirine, un cachet l’éléphant….et la petite boutique de cartier faisait le rôle du médecin, du la pharmacie et du kiosque…
Achats aujourd’hui : Mercantilisassions de touts les produits au point d’acheter même de l’eau à boire et tomber dans le consumérisme total et durable.
Odeurs d’autrefois : éponges de la mer, arôme de la semoule de couscous au vapeur, mets avec de la viande, odeur de la farine d’orge compacté dans la jarre, odeur du caoutchouc quand il faut dénicher un serpent, odeurs des fleurs et légumes, odeur du musc au auprès des vieilles femmes, odeur de l’encense aux occasions sérieuses, odeur de la mer, odeur de la terre après la pluie, odeur de l’herbe,odeur du piment vert sur une chakchouka au petit poisson, odeur du pain rond saupoudré de cumin …
Odeurs d’aujourd’hui : Odeur des gaz d’échappements, odeurs des huiles frites à l’extrême, odeurs des poubelles, odeurs des produits synthétiques, odeurs de la peinture artificielle, odeur des détergents aussi nocifs que les bactéries à nettoyer….
Risques d’autrefois : maladies, chute d’un palmier, tomber dans un puits, guéguerre, sécheresse et pénurie alimentaire, manque de pluie, piqure de scorpion, chien enragé…
Risques d’aujourd’hui : accident de voiture, électrocution, échappement de gaz domestique, rétrogradation de l’immunité à force d’antibiotiques, armes de destruction massive, intoxication par les conserves, les colorants, les arômes et les goûts artificiels alimentaires…
Jeux d’autrefois : Jeux de dame sur sable avec des noyaux de dattes et pierres, dattes vertes troués par des fourmis et ensevelis sous le sable que l’on se pariait déterrer et manger en les piquant au hasard par des épines de palmes regroupées, jeux des fellagas avec active avec un endroit en guise de Mecque de salutaire, Toupie, billes, monnaie à lancer dans un trou, des ventilateurs tournant contre le vent et faits à partir de feuilles de palmes, cerf volant fabriqué sur place, football de vieux et vieilles avec un baton et une de peau enroulée pour invoquer la pluie, Oum Ktambou dans une danse d’imploration de la pluie aussi, course de bateaux avec des bases de palmes colorées avec voiles et gouvernail…de tel point que les jeux étaient gratuits et intégrés dans l’activité sociale et utilitaire.
Jeux d’aujourd’hui : des voitures et animaux en plastique achetés, des jeux vidéo sur portables, des compétitions soumises au mercantilisme, des gadgets et divers produits de loisirs onéreux, soit, une industrialisation totale du secteur…
Ainsi, l’imaginaire de Dali, à partir des traces des ruisseaux sur les routes de Houmt Souk, contourna la toile d’autrefois, son rayonnement culturel et social, pour la comparer avec celle d’aujourd’hui, différente, moderne, mais avec une nette absence de l’intégration de l’homme dans son milieu. Sur cette merveilleuse Île, ce musée ouvert de la sagesse humaine, cette transformation progressive, s’effectua dans des sens, qui ne sont pas toujours à l’avantage de tout le monde. Juste pour dire, que les collègues de Mohamed Ali, des fils de Djerbiens, de médecins, de fonctionnaires, de mécaniciens, de paysans…, aimeraient garder le rayonnement que faisaient les puits d’autrefois créateurs et promoteurs de la vie, en faisant de leur école, cette fois, un tremplin culturel et éducatif, pour s’affirmer, conquérir le monde et atténuer le consumérisme. Une adéquation et intégration des nouveautés à l’authenticité de la sagesse comportementale des anciens, seraient des parades aux glissements en vigueur. Joindre les deux approches d’autrefois et d’aujourd’hui, pourraient barrer la route aux intervenants tendancieux et laisser à Djerba, son caractère de paradis sur terre.
Dali et Boughmiga
Lihidheb Mohsen 10.2019
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