mercredi 3 mars 2021

La soif, millénaire.

 


                 


Dans cette région du sud Tunisien, aux portes du Sahara, sur le littoral de la plaine du Djeffara, la soif, était toujours une préoccupation des populations fixes ou de passage. Avec une pluviométrie rare et capricieuse, ne dépassant pas les deux cents millimètres par an, il fallait gérer cette situation par de petits barrages de rétention de l’eau de pluie, des citernes construites pour collecter l’eau à boire et des plantations pour fixer le sol et éviter les érosions. Heureusement, qu’il y avait des puits de surface çà et là, dont les femmes raclaient leurs fonds pour une petite ration d’eau pour la famille. Depuis quatre heures du matin, des mères de familles, se précipitaient en groupes, vers ces points d’eau, pour revenir chacune avec une jarre sur le dos pour la consommation entre la cuisine et les besoins humains. Vue la précarité, certaines activités de lessive, d’hygiène corporelle et autres, étaient faites dans le ruisseau des puits artésiens et même à la mer. Pour fixer la population, les preneurs de décisions avaient opté pour une sorte de monoculture d’oliviers, laissant le cheptel sans pâturages immédiats, ainsi que des puits artésiens disséminés sur toute la cote de Hassi Djerbi jusqu’à Rouiss, en faveur des plantages de palmiers, l’irrigation de sorghos et les légumes, encore, pour une fixation humaine oasienne-maritime. Comme le firent autrefois, les Romains, de citernes géantes avaient été construites dans toutes les agglomérations de la région et même sur les routes de l’intérieur. L’eau était toujours un produit noble, rare et indispensable, au point de le concevoir invendable et irrefusable en disant qu’une goutte d’eau vaut mieux qu’un trésor. Comme les anciens faisaient des légations pour avoir des bienfaits courants, certains avaient investi dans les citernes construites sur les routes désertiques, pour les eaux de pluie et les laisser, ouvertes, avec des ustensiles pour s’en servir par les éventuels passants. Ces gens ne manquaient pas de construire de petits endroits pour les animaux sauvages et les oiseaux, pour y verser de l’eau à chaque fois. Il faut voir l’importance de ce sujet, quand de grandes rixes tribales éclataient à chaque pluie, au sujet de l’écoulement des oueds à travers les Jessours dégressifs. Avec le temps, chaque maison, avait son installation pour la conservation de la pluie que l’on garde encore ne serait ce que pour la cuisine. Sur le littoral, il y avait toujours des citernes blanches, que les pêcheurs aux éponges voyaient de l’intérieur de la mer et s’en approvisionnaient régulièrement, car il leur fallait des semaines à rester sur leurs bateaux. On se rappelle encore, comment il y avait devant chaque boutique, une grande amphore en poterie, pleine d’eau, au-dessus de laquelle, une tasse pour les passants désireux de boire. Dans certaines régions et particulièrement sur l'Île de Djerba, les mosquées, en plus de leur rôle fédérateur et sécuritaire, construisaient des citernes pour garder l'eau de pluie à la disposition des gens et rendaient leur périphérie respective un verger fruitier et riche sur un rayon d'un kilomètre, à la disposition gratuite des passants et nécessiteux.

                   Maintenant, au damne de la nature, de l’évolution de la conjoncture, les puits artésiens avaient été fermés, les puits de surface ensevelis, l’eau de la canalisation est salée et amère, avec le temps beaucoup trop chère, ne sert même plus à l’irrigation, alors que l’eau des citernes est désormais en berne, au profil des eaux embouteillés et vendus à prix élevés avec une clientèle de plus en plus grande. Un comportement collectif improductif, dangereux et nocif, qui se rétrograde, de stade en stade, pour se retrouver prisonnier de ses choix et en plein dans les trappes du consumérisme cynique.

                   Pour répondre à une période dont il avait vécu la progression, pour revivre un réflexe de soif centenaire vécu par ses ancêtres et pour suivre son instinct de conservation et de survivance, Boughmiga, qui avait perdu un membre de la famille, pour le manque d’eau et en réaction, avait entrepris dans le cadre de son action mémoire de la mer et de l’homme, de remplir des centaines de bouteilles en plastique avec de l’eau potable et ce, pendant des mois, pour conserver cette essence de la vie et les mettre sur les murs de son espace écologique, afin de recueillir la réflexion du soleil au levé et au couché.

                   Sur ce, les puits ont tari, la nappe phréatique à baisser, l’eau de robinet est douteuse malgré la désalinisation, l’eau des citernes manque d’éléments physicochimiques, l’eau embouteillée est couteuse…et l’étau économique et subsistantiel, se resserre autour de l’homme, lentement, mais surement…en attendant, le tsunami nivellateur et probablement, régénérateur.

                               Lihidheb Mohsen 03.03.2021

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire